Archéologie de l'utopie

Ulysse arrive sur la terre des Phéaciens. Il s’endort sous un olivier, arbre qui lui révèle la présence protectrice d’Athéna. Dans le même temps, la déesse intervient, en rêve, auprès de Nausicaa la fille du roi. Nausicaa se rend alors sur les bords du fleuve où se trouve Ulysse …

Cette rencontre d'Ulysse et de Nausicaa est légendaire et elle constitue sans doute un trésor du patrimoine de l’humanité.

Une utopie se définit généralement comme un artifice littéraire consistant à décrire une société idéale dans une géographie imaginaire, le plus souvent dans le cadre d'un récit de voyage, comme c’est ici le cas avec cet épisode de l’Odyssée. Ce pays heureux « sur lequel les Dieux semblent avoir versé leur pollen » c’est donc le pays des Phéaciens, ultime étape avant le retour à Ithaque, Où Ulysse vient s'échouer, après avoir quitté l'île de la nymphe Calypso.

Pour les passionnés de l’Odyssée, la terre des Phéaciens reste encore de nos jours un mystère. Peuple énigmatique, mi humain, mi divin, les Phéaciens semblent être en effet une société aussi étrange qu’idéale, peut-être une transfiguration avant l’heure d’un royaume d'Utopie. Car si le mot sera élaboré bien plus tard par l'écrivain anglais Thomas More, il signifie déjà en grec ancien : « en aucun lieu ». L’Utopie comme la terre de Phéaciens est donc une forme de représentation d'une société idéale et parfaite, mais peut-elle seulement exister ?

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Nausicaa précise à Ulysse que les Phéaciens vivent « à l’écart » au milieu d’une mer houleuse, identifiée comme la mer ionienne, à l’extrémité du monde connu, si bien que nul mortel n’a jamais commerce avec eux. Dès la tradition classique et Thucydide, les Phéaciens étaient considérés comme les premiers habitants de l'île de Corcyre, l'actuelle Corfou.

Des fouilles archéologiques récentes aurait même permis selon certains de dégager les vestiges de la cité qui aurait accordé l’hospitalité à Ulysse. Les habitants de Corcyre étaient en tout cas bien réels et réputés à l’époque pour leurs qualités de marins. Il semblerait d’ailleurs que l'antique Corcyre fut une colonie de Corinthe et auparavant, d'Eubée. Les Eubéens étaient effectivement d’audacieux marins, lancés à la découverte du versant occidental de la Méditerranée. Certains ont même vu dans les aventures d'Ulysse un hommage rendu à ces premiers aventuriers des mers qui vont faire de la « Mare Nostrum » une mer grecque.

Aux temps anciens les Phéaciens se situaient surtout entre deux mondes : celui mythique des Géants et celui des hommes. Leur roi Alcinoos affirme d’ailleurs être proche des dieux : « Quand nous faisons nos fêtes, ils viennent au festin s'asseoir à nos côtés, nous sommes de leur sang, comme les Cyclopes ou comme les Géants. » Les Phéaciens sont donc véritablement aux marges du monde, et pour cause : ils ne sont plus tout à fait des dieux, sans être encore véritablement des hommes. Ils vivent en réalité dans un monde parallèle, un autre espace-temps, celui de l’âge d’or, de l’abondance et de l’éternel printemps. De toute façon, leur terre est un lieu dans lequel on ne parviendrait et qu’on ne quitterait qu’en rêve comme Ulysse l’a expérimenté.

L’épisode de l’Odyssée est donc pour Homère l’occasion de célébrer la beauté et le mode de vie harmonieux et prospère des Phéaciens. Arrivé au palais royal d'Alcinoos, Ulysse éprouve immédiatement une impression d'extrême magnificence : Portes d'or, montants d'argent, sculptures raffinées, tout indique le luxe et la richesse, l’union heureuse entre le travail des Hommes et la générosité de la nature.

Mais ce qui caractérise les Phéaciens, c’est aussi la qualité de leur organisation sociale et politique, qui ne manque pas d’impressionner Ulysse.

Les Phéaciens sont en effet pacifiques et l’île, au bout du monde, est restée à l’écart de la guerre de Troie, qui n’est pour eux qu’un sujet poétique. Leur premier roi civilisateur a fortifié la ville, élevé des maisons, distribué la terre et bâti des temples aux dieux, soit idéalement l’ensemble des principes indispensables à tout groupe humain accompli. A-t-il seulement existé, ce souverain si parfait, « instruit en sagesse par les dieux » ?

Lors de l'accueil d'Ulysse, chacun est ainsi invité à participer aux festivités et les fruits de la nature ne sont pas réservés au roi mais, et cela est notable, partagés par tous. Quant à Alcinoos, il ne règne pas en monarque absolu, mais partage également son autorité. Il n’est d’ailleurs qu’un roi parmi douze autres rois, assisté de conseillers et de gouverneurs, et lorsqu’il s’agit de savoir si les Phéaciens offriront leur hospitalité à Ulysse, il laisse un sage prendre la parole et écoute son conseil qui sera ensuite discuté. Ainsi finalement, comme « la Callipolis » de Platon ou « l’Utopie » de More, les Phéaciens semble constituer une société idéale, une communauté d'individus vivant en totale harmonie.

Ecrit bien des années plus tard par Fénelon « Les Aventures de Télémaque » se présentent comme une suite de l'Odyssée. Ces aventures racontent la quête d’Ulysse mais vécue du point de vue de Télémaque, et ce faisant, l'éducation du jeune homme à la recherche de son père absent. Dans le récit, le jeune prince est accompagné par Minerve, déesse de la sagesse, travestie sous les traits du sage Mentor, qui le guide afin de lui éviter les obstacles, tout en lui donnant les plus indispensables leçons. De ce point de vue le récit de Fénelon est non une utopie mais un des premiers récits de formation, au même titre que l'Émile de Rousseau, le Wilhelm Meister de Goethe et L'Éducation sentimentale de Flaubert. Bien avant, et dès l’antiquité, les livres de La République étaient déjà connus et il est prétendu que c’est pour répondre à Platon que Xénophon voulut opposer sa « Cyropédie » qui est le véritable précurseur du récit de formation. Le titre latinisé évoque l’éducation de Cyrus et le séjour formateur du jeune prince perse à la cour de son grand-père maternel, le roi mède Astyage.

Mais comme chacun sait, il est considéré que c’est Thomas More, en 1516, qui inventa le genre de l’utopie politique, comme œuvre romanesque et progressiste. Et comme pour les Phéaciens, les utopistes situaient généralement leurs écrits dans des lieux imaginaires, lointains, ou mythiques, comme évidemment une île inconnue.

Initialement, il était considéré qu’une utopie est définie par deux éléments : un cadre, un récit d’aventures, fantaisiste ou fantastique, un roman merveilleux ou géographique et un contenu, la représentation en elle-même de la société idéale. Par la suite il a été encore distingué trois emplois plus précis du terme : Un emploi ancien, classique, faisant référence à l’ouvrage de Thomas More, dans lequel le terme désigne un « pays imaginaire où un gouvernement exerce son règne sur un peuple heureux ». Mais il existait également des utopies « didactiques », qui sont une tentative de définition et de réflexion autour d’un gouvernement idéal ou imaginaire, dont l’exemple le plus connu est évidemment la République de Platon. Enfin, un emploi plus récent, datant du XIXe siècle, désigne « un idéal, une vue politique ou sociale, mais qui ne tiendrait pas compte de la réalité », voire même « une conception ou un projet politique qui apparaitrait comme irréalisable » au sens où par exemple le jeune Karl Marx considérait les socialistes utopiques français. La polysémie du terme fait donc varier la définition de l’utopie entre un lieu imaginaire, idéal, un texte littéraire à vocation politique et même un rêve irréalisable, avec surtout en dénominateur commun la possibilité de réfléchir sur le réel par une représentation politique fictive.

Mais, il est aussi un autre aspect de l’utopie, qui peut avoir un dessein plus particulier et précis : permettre la critique et dénoncer l’injustice en évitant la censure politique ou religieuse. Et c’est bien de cela dont il s’agit avec Fénelon, esprit critique, mais prudent, dont « Les aventures de Télémaque » circulaient sous le manteau, avant, selon la légende, que le manuscrit ne soit dérobé par un domestique indélicat, qui allait en permettre la publication, et par voie de conséquence le bannissement de son auteur. En effet, lorsque le livre paraît à Paris en 1699, si le volume est anonyme, tous savent en fait qu'il est l'œuvre de Fénelon, ancien précepteur du petit-fils de Louis XIV. Car « Les Aventures de Télémaque » est au départ un récit pédagogique destiné à donner au travers de l'histoire d'Ulysse une formation morale et politique.

Il est au passage à noter que dans le récit, au septième livre, les voyageurs arrivent en terre utopique, en « Bétique » présenté comme un autre paradis antique. La région andalouse correspondrait aux « colonnes d’Hercule » bordant le détroit de Gibraltar et comme pour les Phéaciens, le lieu semble béni des Dieux. Ainsi par exemple les troupeaux fourniraient « des laines fines recherchées de toutes les nations connues ».

Le texte se veut suggestif et Fénelon évoque ainsi la période mythique d’une humanité première et heureuse, déjà dépeinte par Hésiode, Ovide ou Virgile. Fénelon fait ainsi l’éloge d’un peuple rural aux fortes qualités morales et en quête d’une vie et d’un bonheur simple. Si le procédé est classique, la description renvoie en contrepoint à une dénonciation cruelle de la société de Louis XIV et à une critique plus qu’implicite de la politique de prestige et de conquête menée par la France de l’époque. Comme si cela ne suffisait pas s’ajoute « l’orgueil et l’art de faire des bâtiments superbes » dans lequel il était évidemment difficile de ne pas voir Versailles et sa cour, microcosme corrompu et esclave de ses passions, sombrant dans l’illusion d’un bonheur factice, au détriment d’un peuple misérable et malheureux.

En 1534, dans un cadre plutôt différent, l'Abbaye de Thélème dans le Gargantua de Rabelais, faisait écho aux premiers débats idéologiques nés des progrès de l'humanisme. Thélème avait alors pour devise "Fais ce que tu voudras" mais il était question ici de gouverner non des peuples, mais des hommes libres. Comment aussi mieux célébrer la liberté que de se dégager des contingences du réel ?

Thomas More qui s'inscrivait comme Érasme, dans le cadre du mouvement humaniste avait également redécouvert toute la littérature antique, grecque et latine. Sur un autre plan, les voyages vers le Nouveau monde à partir de 1492, avaient ouvert les horizons et permis d'imaginer des civilisations originales situées aux confins du monde. Le premier livre de L'Utopie rapporte ainsi une conversation avec le navigateur qui a découvert l'île d'Utopie, conversation qui emprunte d’ailleurs beaucoup aux récits de voyage de Vasco de Gama ou de Magellan.

Mais More connaissait bien également « La République » qui était pour lui une source d’inspiration majeure. Le second livre de l’Utopie rapporte d’ailleurs la description des lois, les coutumes, l'histoire, l'architecture et le fonctionnement économique de l'île. Comme ses illustres devancières, la société utopienne est égalitaire, ignore toute propriété privée, ce qui la fera qualifier avant l’heure de communiste, ou plus précisément d’isonome, ce qui veut dire : cherchant l'égalité parfaite de tous devant la loi.

La vertu de l'Utopie est ainsi de tenter d’apporter des réponses aux injustices du monde en cherchant la réalisation d'une telle société, tout en considérant pour l’heure ne pas pouvoir véritablement l'espérer. Le nom de l'île, qui veut dire « nulle part » n’est-il pas là aussi pour le rappeler ?

Mais c’est bien surtout la pensée de Platon, exposée dans « La République », qui constitue donc le tout premier programme utopique majeur ! Et le dessein de Platon est bien de tracer, comme souvent par l’intermédiaire de Socrate, les grandes lignes de ce que devrait être une cité idéale.

Il est en fait possible de répertorier quatre cités, ou modèles de cités, considérées comme à la base de la vision utopiste de Platon : L’Athènes ancienne ou primitive, dont il est question au début du Timée et dans le Critias. L’Atlantide, décrite dans le Critias, qui par l’abondance de ses ressources et de ses richesses, n’est pas sans rappeler le pays des Phéaciens. Cette Atlantide évoquée par Critias, selon un récit entendu de la bouche de Solon, aurait été en guerre avec l’Athènes primitive neuf mille ans plus tôt.   La capitale somptueuse obéit à un plan géométrique de trois enceintes, circulaires et concentriques, séparées par de larges canaux navigables, et reliés à la haute mer par un autre canal. Mais par la suite, les Atlantes, victimes de la soif de l’or, se seraient peu à peu corrompus, perdant tout sens moral, et Zeus aurait finalement décidé de les châtier et de les engloutir sous un déluge.

La source principale de ce que l’on considère généralement comme l’idéalisme politique platonicien se trouve dans les Livres de la République. La première cité décrite, dont il est question au Livre II, est désignée par Socrate lui-même comme la « cité véritable ». Mais c’est bien la « belle cité », « Kallipolis » ou « Callipolis », décrite dans les livres III à VIII qui est considérée comme la « Cité idéale » de Platon. C’est dans la description de cette « Cité idéale » que seront développées les thèses considérées comme les plus « difficiles » ou « irréalisables » de Platon : la communauté des femmes et des enfants ou encore le gouvernement des philosophes-rois. La démonstration intervient en fait en plusieurs phases. Qu’est-ce qu’une cité ? Comment naît une cité ? Et ensuite ? Que faut-il faire pour qu’elle puisse durer ? Comment peut-elle évoluer ?

Socrate répond dans un premier temps de manière simple, presque tautologique : ce qui doit constituer une cité doit se limiter à ce qui est strictement nécessaire, ce qui permet une vie, simple, voire rude. Cette cité est alors vraie et authentique et de ce point de vue, également juste et vertueuse, saine et réalisable, en ce sens que la vie est tout simplement possible.

Mais Socrate abandonne vite ce modèle peut-être trop archaïque et insuffisamment attractif. Dans une approche qui peut alors sembler surprenante, il considère l’évolution possible de cette cité, dans le sens d’un plus grand confort, d’une certaine richesse voire même d’une certaine abondance.   Et selon lui, consécutivement à cette évolution, cette cité serait alors susceptible de devenir en quelque sorte « malade » de son développement et de sa prospérité. Mais le désir nécessaire pourrait devenir avidité, le luxe, décadence, avant, de ce fait même, de pouvoir aboutir à la destruction. Il n’y aurait dès lors pas d’autre alternative que de subir une sorte de « cure d’austérité et de purification », pour redevenir saine et vertueuse. C’est cette cité, en quelque sorte guérie de ses excès, qui deviendrait alors « Callipolis », la cité idéale. Car cette cité, riche de cette expérience, aurait été en mesure de mettre elle-même un frein à sa dérive néfaste, ce qui n’aurait été possible que grâce à un comportement volontariste et une éducation concernant l’ensemble des citoyens.

Et c’est là que sont exposées les thèses qui auront sans doute le plus contribué à une interprétation idéaliste de Platon, celles considérées comme utopiques par excellence. À la tête de cette Cité idéale, qui serait aristocratique, se trouverait donc ainsi un « roi philosophe ». Les dirigeants, ou « gardiens », seraient responsable de la sécurité de la cité et répartis en deux catégories : les guerriers et les dirigeants proprement dits. Les premiers, plus jeunes, seraient responsables de la sécurité intérieure et extérieure (en pratique la police et l’armée) tandis que les seconds, plus âgés et plus sages, veilleraient avec hauteur de vue sur la bonne marche de la cité et son climat harmonieux. L'éducation serait un monopole d’Etat et ne concernerait que les enfants de ces « gardiens » qui seraient élevés de manière drastique. Ils n’auraient droit, ni à des richesses matérielles personnelles (créatrices de jalousies et de conflits) ni à des distractions (susceptibles de mettre leur vertu en péril). Et surtout, la cité serait totalement communautaire : logement, repas, jusqu’aux femmes et aux enfants qui vivraient ensemble et collectivement.

Platon dans son ouvrage postérieur « les Lois » considéré comme une suite plus « réaliste » de la République, allait corriger le caractère peut être « excessif » de certaines de ces conceptions. Le livre, qui est un dialogue entre des Crétois et un Athénien consulté sur la meilleure façon de fonder une colonie, allait pourtant développer certaines théories qui peuvent encore surprendre de nos jours, comme par exemple le fait de déterminer très précisément le nombre idéal de citoyens : 5.040, chiffrage justifié par Platon au regard de différents paramètres, dont même la numérologie !

Finalement, si la société idéale de Platon, semble être un aboutissement, ne ressort-il pas aussi de ces éléments, qu’ils doivent être analysés dans une perspective évolutive ? La cité idéale, « Callipolis » ne succède-t-elle pas à la cité première de la République ? Les quatre modèles évoqués par Platon ne sont-ils pas un peu des types idéaux à la manière de Max Weber et encore mieux, des étapes ou des stades où l’un est parfois la suite de l’autre, voire sa suite logique ou obligée ?

La royauté pour Platon n’est-elle pas un âge d’or, mais exposée au déclin, pour tendre vers l’oligarchie, puis, avec la décadence, vers la démocratie, manipulée par les sophistes et les démagogues, jusqu’à la lie de la tyrannie ? Comment comprendre la fin tragique des Atlantes si l’on ne prend pas aussi en considération cette évolution possible vers une forme d’avidité incontrôlée ? De ce point de vue, même les Phéaciens n’auraient pas été à l’abri de pareille destinée.

En réalité, il semble assez logique qu’une société primitive se développe et passe d’un stade rudimentaire à une dimension plus confortable matériellement. Idéalement, l’organisation de la cité devrait aboutir à conjuguer liberté et égalité, justice et fraternité, ce qui suppose, éducation et partage, en d’autres termes, un certain degré de civilisation. Evidemment en ces temps anciens et incertains, la prospérité et l’abondance étaient toujours susceptibles d’entrainer la convoitise d’un peuple voisin peu amène. Mais de manière plus générale, il est une réflexion à mener : la richesse doit-elle obligatoirement entrainer un accaparement, ou comme pour la Versailles de Fénelon, une débauche de luxe et une dégénérescence, qui échouent, pour emprunter la métaphore biblique, à un « veau d’or » ? N’est-ce pas là pourtant un risque si humain et si intemporel ?

Il est une légende, peut-être d’ailleurs véridique, qui raconte qu’au temps de la splendeur de Venise, les marchands les plus riches de la cité rivalisaient dans la décoration de leurs gondoles, au point de déployer une multitude d’ornementations, toujours plus couteuses, pour afficher leurs réussites respectives. Devant l’inflation de moyens somptuaires et d’une certaine manière le gâchis social généré, un doge qui se voulait sage ordonna que dorénavant, toutes les gondoles seraient peintes, simplement et sobrement en noir.

Finalement la principale leçon que nous donne Platon dans ses ouvrages n’est-elle pas justement d’appeler à la vigilance et à l’éducation de veilleurs, susceptibles de maintenir les équilibres et d’éviter l’excès, la dérive destructrice ? A ce niveau d’ailleurs, quel jugement pourrait-on porter sur notre monde actuel ? Si cela était possible, on révérait de faire renaître Platon pour l’interroger.

N’évoquait-t-il pas les « îles des Bienheureux », séjour des âmes « ayant vécu saintement dans le commerce de la vérité ». Ces iles dans la mythologie grecque, sont le lieu où les âmes vertueuses goûtent au repos éternel, un peu à la manière des Champs Élysées au royaume des morts.

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L’utopie est souvent entendue, dans un sens large, comme une réponse à la question du meilleur régime possible, une question de philosophie politique prisée par les anciens. C'est en ce sens que nous pouvons aussi considérer que la République de Platon est une utopie avant l’emploi même du terme.

Mais un tel dessein n’était-il pas également présent dans « Les Oiseaux », une comédie datée de 414 avant JC, où Aristophane s’en prend aux mœurs politiques et sociales : Deux citoyens athéniens fuient la ville, déçus par la corruption de la cité. Avec un compagnon de route, qui est évidemment un oiseau, ils décident de bâtir une ville aérienne, à mi-chemin entre la terre et l’Olympe. Où tous « les parasites » seront bannis : prêtres, philosophes, législateurs ... Peut-être une utopie populiste avant l’heure !

Les « îles des Bienheureux » qui ne sont pas dans le ciel sont devenues dans la tradition latine les « îles Fortunées ». Ces îles sont en fait le plus souvent identifiées aux îles Canaries, bien que certains considèrent qu’il s’agirait plutôt des îles du Cap-Vert. Ptolémée, dans sa Géographie, considérait en tout cas, et c’était bien là l’essentiel, qu’elles étaient à la limite occidentales du monde connu, là où il fera passer son méridien zéro, point de départ de ses mesures de longitude.  

Iles des Bienheureux, Atlantes, Phéaciens, et tant d’autres encore, la recherche de l’idéal en était encore à ses premiers pas, à ses premières localisations. Et qu’importe finalement le lieu choisi, l’Odyssée humaine en était encore à ses premières espérances !      

Maixent LEQUAIN 2 novembre 2020

 

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