Vers un nouvel humanisme

DES CRISES A LA RECHERCHE DES PROGRES !

VERS UN NOUVEL HUMANISME ?

« Les amis de la vérité sont ceux qui la cherchent et non ceux qui prétendent la détenir » Condorcet.

Pourquoi ce titre ? Parce que je crains que l’humanité souffre de deux grands maux : les mutations et les crises, avec une société de plus en plus inégalitaire, et assez curieusement souffre aussi du progrès, avec une incompréhension de notre futur.

1° LES CRISES ?

Toutes les époques, du moins depuis le XIXè siècle, aussi bien dans les périodes de croissance économique que de récession, ont été décrites en termes de crise, de déshumanisation, de fin des idéologies. Crise ? Un mot passe-partout ? Un mot fait de malaise, de crainte, de peur, et un mot qui n’explique rien !

« Ainsi tout est crise. L’intempérance des agioteurs, crise financière. Les stratégies cyniques sur hedge funds, crise obligataire. La valse des rachats de prêts, crise immobilière. Les jeux boursiers sur denrées agricoles, crise alimentaire. Les escroqueries dans l’élevage et l’abattage, crise sanitaire. La convoitise des actionnaires qui délocalisent, crise économique. La surexploitation des ressources naturelles, crise écologique. Les dégraissages pour accroître les dividendes, crise sociale. Les cadeaux fiscaux aux nantis, crise budgétaire » ( Christiane Taubira, 2017)[1].

Ces crises sont liées aux contradictions de notre système économique, d’une politique qui continue à prôner une croissance économique illusoire, d’un capitalisme qui veut imposer dans l’économie du marché toutes les activités humaines comme activités marchandes et qui veut privilégier l’intérêt privé tant sur le plan social qu’écologique.


La libéralisation des échanges était considérée apporter la prospérité, dans les pays développés mais aussi ceux en voie de développement. Mais les traités économiques ont largement été inégaux et ont été considérés comme une nouvelle méthode d’exploitation des pays pauvres par les pays riches. Le modèle néo-libéral «c’est l’austérité pour les pauvres et la générosité pour les nantis, … la rhétorique du libre marché n’est manifestement qu’une façade, dissimulant un programme politique qui consiste … à réduire les impôts des riches et les prestations sociales des pauvres »[2]  

Le néolibéralisme prétend que les pays riches doivent devenir encore plus riches pour que les pays pauvres puissent éventuellement devenir un peu moins pauvres. Un beau conte pour enfants !

Même si le marché économique se doit de créer de la richesse, ce serait une erreur de respecter la pensée unique « moins d’Etat, c’est mieux » et de baser la politique uniquement sur l’accumulation de richesse. «Cela devient inquiétant quand, à force de répéter qu’il y a trop d’Etat, la tentation finit par naître, dans certains esprits, qu’il n’y ait plus qu’un Etat minimum, strictement cantonné dans ses fonctions régaliennes d’administration, de justice, de police et de diplomatie, et qui, pour toutes les autres questions, c’est-à-dire, en temps de paix, pour la plupart des questions vraiment importantes, laisserait fonctionner les fameux mécanismes autorégulateurs du marché. … Ne devons- nous pas penser qu’il y a des choses qui ne sont pas à vendre (la vie, la santé, la justice, la liberté, la dignité, l’éducation, l’amour), on ne peut pas tout soumettre au marché: il faut résister à la marchandisation de toute notre vie, aussi bien individuellement (c’est le rôle de la morale et de l’éthique) que collectivement (c’est le rôle de la politique). Les trois sont nécessaires. Mais, à l’échelle de la société, c’est la politique qui est la plus efficace : nous avons besoin d’un Etat pour organiser la part non marchande de la solidarité, pour veiller exactement à ce qui n’est pas à vendre » (Comte-Sponville, 1995)[3].

L’économie du marché et le néolibéralisme gangrènent les activités humaines, aussi bien sur le plan social qu’écologique. L’éthique du progrès doit repenser notre relation à l’environnement au niveau de chaque être humain, mais également en tant qu’humanité. Il s’agit de préserver nos écosystèmes: c’est notre « village global » qui est en danger. On essaie de nous tranquilliser avec une croissance verte, mais, en réalité, il nous faudra inventer un nouveau paradigme avec un changement profond de société et une remise en cause totale des pouvoirs du marché. Le « tout à l’économique » et à la croissance est un leurre. La conscience disparait dans le consumérisme, elle a perdu son être dans la recherche de l’avoir. Il nous faut rester nous-mêmes et ne pas s’affairer à gagner en avoir ce que nous pouvons gagner en être.

Pouvons-nous vivre heureux dans une société du « tout à l’économique » et dans un monde de consommation ? Nous sommes en recherche d’une vie intérieure épanouissante, où nous pourrions déployer nos potentiels humains. La recherche de sens doit se réaliser ici et maintenant dans le cadre d’une société en mutation.

La crise du modèle de croissance est aussi celle des conditions matérielles du dépassement des injustices sociales. La lutte des laissés pour compte de nos sociétés, à savoir les « sans » (sans travail, sans toit, sans accès aux soins, sans papiers, sans terre …), émerge et se développe. Ce que le devenir des « sans » nous révèle, c’est que le système-monde n’est plus défendable, que l’on démantèle la sécurité sociale et les services publics au profit des nantis et des véritables décideurs à savoir les marchés financiers, et qu’on essaie d’y imposer une discipline. On essaie de suppléer l’absence de promesse avec du contrôle. Des moyens colossaux sont prévus pour la sécurité, y aura-t-il autant de moyens pour l’éducation, la culture ? Ne faut-il pas s’inquiéter de l’injustice, de l’inégalité à l’origine d’exclusions, qui elle-même est à l’origine de violence ?

Ne faut-il pas nous interroger en 2021 sur le fait que l’enseignement, l’art, la culture, sont considérés comme des activités non rentables ? N’aurions-nous toujours pas compris que nous devrions donner à notre jeunesse une vision positive de la société ?

Toutes ces crises doivent donc nous émouvoir dans une recherche du progrès de l’humanité.

Fondamentaux de l'humanisme

         Pour réfléchir à l’avenir de l’humanisme, je propose, sous le titre « Les Fondamentaux de l’Humanisme » d’essayer de préciser le concept.

À la lecture du Grand Robert on apprend que le mot humaniste désignait en 1539 un lettré ayant une connaissance des langues et des littératures grecque et latine.

Par la suite il a qualifié les lettrés de la Renaissance, comme Lefèvre d’Étaples, Guillaume Budé ou Érasme, qui se consacraient à faire connaître les œuvres et les idées des écrivains de l’Antiquité ; ou encore Montaigne, Rabelais et d’autres, déjà sous l’influence de cette idée de Pic de La Mirandole : « La dignité de l’être humain, c’est d’avoir reçu le privilège : « D’être seulement ce qu’il devient et de devenir ce qu’il se fait ».

En 1877 selon Lalande, l’humanisme est le mouvement d’esprit initié par les humanistes de la Renaissance, caractérisé par « un effort pour relever la dignité de l’esprit humain et le mettre en valeur en renouant par-dessus le moyen-âge et la scolastique, la culture moderne à la culture antique »

Au19ème siècle, l’humanisme philosophique est défini comme une doctrine « qui prend pour fin la personne humaine et son épanouissement, en s’attachant à sa mise en valeur « par les seules forces humaines ».

Borges un écrivain humaniste et mystérieux

 « Jorge Luis Borges est l’un des dix, peut-être des cinq auteurs modernes qu’il est essentiel d’avoir lus. Après l’avoir approché, nous ne sommes plus les mêmes. Notre vision des êtres et des choses a changé. Nous sommes plus intelligents » (Claude Mauriac.)

Dans la préface du « Rapport de Brodie », Borges précise s’être beaucoup inspiré des premiers écrits de Kipling : « Plain tales from the hill » qu’il définit comme des « chefs d’œuvre laconiques ». Ces nouvelles de Kipling se déroulent en Inde, au Penjab, et je les avais évoquées à l’occasion d’une Texte précédent. Il me paraissait donc, dans la continuité du travail jamais achevé, qu’il me fallait en venir à Borges en passant par Kipling.

Comme chacun le sait, plus ou au moins confusément, Jorge Luis Borges est un écrivain argentin à l’érudition inégalée, né à Buenos Aires. Ses travaux dans les champs de l’essai et de la nouvelle sont considérés comme des classiques de la littérature du XXe siècle.

Sa vie est également un peu connue : il est né en Argentine, puis et parti en Europe avec sa famille, il a résidé longtemps à Genève puis en Espagne, à Barcelone et Madrid. Revenu en Argentine, il semblerait selon une légende tenace, qu’il vécut dans une bibliothèque, qui devait être la bibliothèque municipale de Buenos Aires. Comme son père, Borges souffrait également de cécité, circonstance malheureuse qui l’amena peut-être aussi à repousser les limites de la perception et de l’imaginaire.

C’est vers 1950 que Borges fut découvert par la critique française et notamment par Roger Caillois, grâce auquel il obtint au fil du temps une reconnaissance internationale. Mais cela n’avait d’ailleurs aucune espèce d’importance pour celui qui disait encore : « je n’écris ni pour les élites, ni pour les masses, j’écris pour moi, pour mes amis, et pour adoucir le cours du temps ».

Pour qui a lu Borges, son génie de la forme brève et la simple évocation de ses ouvrages les plus célèbres, comme « Fictions », « L’Aleph » ou encore « Le livre de sable » est déjà une délectation. Mais son œuvre comprend encore de nombreux poèmes, des essais, des conférences, sur des sujets divers et aussi variés tels que Dante, les Mille et une nuits, et même le bouddhisme découvert sans doute par l’intermédiaire de Schopenhauer. Le style et les thèmes abordés par Borges permettent généralement de le distinguer immédiatement. Son écriture privilégie l’aspect fantastique du texte, maniant toujours des artifices narratifs et une douce ironie ludique, à la limite de l’absurde. Ses thèmes de prédilections reviennent également de manière obsessionnelle, des « ruines circulaires » ou des « sentiers qui bifurquent » et il est alors question du temps, de sabliers, de l’infini, de miroirs et évidemment, inlassablement, de labyrinthes et de bibliothèques.

De la dignité humaine

         Un point de vue humaniste

            Pic de la Mirandole a été l’un des premiers, à poser les bases de l’humanisme. Il a été semble-t-il le premier à détacher la dignité humaine des influences surnaturelles pour la placer sous la responsabilité de l’être humain lui-même. On a pu considérer son discours sur la dignité de l’homme, comme la proclamation d’une charte de l’humanisme ; humanisme chrétien certes, mais rompant avec l’idée de l’impuissance et de la déchéance de l’être humain, répandue à l’époque par la doctrine de l’Église. Auprès de Marsile Ficin et sous la protection de Laurent le Magnifique, il fut l’un des plus actifs collaborateurs de l’académie platonicienne de Florence. Il a tenté de concilier la théologie avec la philosophie et la scolastique avec l’humanisme. En 1486 il lançait son fameux défi à tous les savants, pour une controverse sur ses neuf cents thèses[1], dont ne nous est parvenu que le manifeste, intitulé « De la dignité de l’homme ». Pour lui, l’homme est un être libre, artisan de son propre destin : il a reçu le privilège « d’être seulement ce qu’il devient et de devenir ce qu’il se fait ». Érasme, dans la même ligne philosophique, dira[2] : « L’homme ne naît pas homme, il le devient ! » C’est là, pour un humaniste de la Renaissance, que se situe la dignité de l’Homme.

Au 21ème siècle, ce jugement reste le fondement de la notion de dignité humaine. L’être humain doit être considéré à partir de sa liberté d’être et d’évoluer selon son choix. La liberté de l’individu c’est son autonomie, le fait de n’être le jouet d’aucune puissance extérieure dont il ne puisse se libérer, de n’être soumis à aucune autorité autre que librement acceptée. Sa dignité c’est aussi son droit d’accéder à plus d’humanité et de devenir vraiment humain par la culture.

Ainsi, pour commencer, nous poserons en principe que la dignité de l’être humain, est de choisir librement sa manière d’être et d’évoluer, et qu’elle est liée au respect de la liberté de l’individu et à son droit à la culture.

La notion de dignité est-elle relative ? Dépendante des usages et coutumes de chaque culture particulière ? Il est vrai que chaque culture privilégie des modes de comportement qui seront ici considérés comme honorables, et rejette d’autres manières pratiquées ailleurs et jugées déshonorantes. Toutefois dans un monde qui s’unifie, où les déplacements de plus en plus faciles se font plus nombreux et où les cultures se mélangent, il est indispensable d’avoir une conception de la dignité acceptable par tous les êtres humains quelle que soit leur culture.

La dignité humaine doit donc être jugée sur des critères se rapportant à ce que l’espèce humaine a en commun, universellement.