Du libéralisme au néolibéralisme

Libéralisme « Gouvernement de la liberté » ; que faut-il entendre par là ? La liberté au-dessus de tout ?

Le rapport du libéralisme à l'idéal de liberté de l'homme n'est pas clair. D'abord, les mots en -isme expriment en général, par esprit de système, une dogmatisation de l'idée portée par la racine ; c'est le cas pour des mots comme individualisme, communautarisme, autoritarisme, communisme... Ici, de la conception libérale de la vie humaine en société, fondée sur le respect de la liberté de chacun de vivre comme il l'entend dans la mesure où il ne nuit pas à la liberté de l'autre, on est passé au respect absolu de la liberté de s'imposer aux autres dans la mesure où on en a les moyens. C'est en particulier dans le domaine économique, que cette façon de comprendre la liberté s'est affirmée en s'appuyant sur ce dogme édicté par Adam Smith : « La liberté laissée aux individus d'agir selon leur intérêt permet seule la meilleure utilisation des ressources. » Il semble que les prophètes du libéralisme se soient peu intéressés à la liberté de l'être humain sous l'angle de sa liberté de pensée, de conscience, de mœurs et de modes d'existence, mais qu'ils se soient surtout intéressés à la liberté des acteurs de l'économie, sous l'angle des meilleures conditions de la production de richesses : liberté d'entreprendre, liberté de placement des capitaux, liberté du commerce...

Dévoiement du Libéralisme

Le Libéralisme, ses origines et son dévoiement actuel

Depuis la chute du mur de Berlin (1989) et du socialisme autoritaire de l'union Soviétique, le   libéralisme économique, financier, triomphe avec la mondialisation, sous une forme qualifiée de « néolibéralisme ». Ses effets sont spectaculaires avec le règne du marché, de l'individualisme et du droit à la différence, le communautarisme et enfin une crise économique majeure qui plonge les peuples dans de graves difficultés.  Les jugements qu'ils portent sur ce système de gouvernance deviennent très négatifs.

Pourtant, le libéralisme devrait recueillir l'approbation de tous puisqu'il est lié à la liberté. Comment expliquer ce paradoxe ? Remarquons, en premier lieu, que la chute du communisme, dans de nombreux pays appartenant à la zone d'influence soviétique, a permis d'affirmer, devant l'opinion publique, que les idéologies étaient mortes et que le système capitaliste, lié à la pensée libérale, était la seule solution aux problèmes des sociétés modernes. Toutefois, on voit bien que cette vision de la société et de l'économie libérales repose sur quelques dogmes, sans cesse repris par des « experts » et des hommes politiques, en dépit de la situation réelle vécue par les populations. Les résistances suscitées s'expliquent d'abord par cette contradiction.  Mais, au-delà de ce constat, il faut aussi s'interroger sur les principes qui servent de fondement à une telle vision du monde, autrement dit sur la philosophie qui l'anime et qu'il convient de juger au regard de nos valeurs humanistes.

Pouvoir financier et Humanisme

 

Pouvoir financier et humanisme

Serions-nous revenus « au règne de la Corbeille » selon la formule du Général De Gaulle ? La bourse et l'économie dictent-elles leurs volontés aux politiques ? Si le pouvoir politique a été transféré aux marchés financiers leur est-il, pour autant assujetti et les dirigeants politiques ont-il encore une once de pouvoir ? Ils nous l’assurent. Dans un long entretien accordé à un hebdomadaire qui a fait sa réputation sur le poids des mots et le choc des photos, un ex dirigeant européen contraint de démissionner parce qu’il avait abusé du pouvoir qu’il avait conquis dans les urnes a déclaré : « sont-ce les agences de notation qui vont dicter leur loi à des démocraties comme la France, l’Allemagne… ». Tel est bien le cas pourtant. La morale, dans ce qu’elle a de plus universel pourrait-elle être, plus que les indicateurs économiques, l’aune à la mesure de laquelle pourrait être exercé le pouvoir.

Le pouvoir, c’est la domination exercée par un homme sur un ou plusieurs autres, de façon à en obtenir un comportement qui n'apparaîtrait pas spontanément. Dans les États modernes, le pouvoir est pensé comme nécessaire en fonction de règles admises collectivement ; idéalement, il est confié à ceux qui semblent avoir les compétences requises et l’autorité nécessaire et légale pour faire respecter ces règles.

La légitimité de celui qui a le pouvoir suppose qu’il n'en abuse pas, c'est-à-dire qu'il respecte les règles juridiques et inscrive ses actions dans le cadre du droit. On peut cependant craindre que tout gouvernant soit tenté d’en abuser. Car selon Kant « la possession du pouvoir corrompt inévitablement la raison. »

Arrêter le pouvoir par le pouvoir

C’est pourquoi Montesquieu, philosophe éclairé a suggéré dans De l’Esprit des Lois que « pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Ce même Montesquieu pose, comme garde-fou à l’abus de pouvoir, une séparation des différents pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire).

Longtemps conçu comme un bien, sacré ou non, aux mains des hiérarchies sociales, le pouvoir est désormais pensé comme une relation de domination, d'influence, d'autorité entre des individus en restant cependant dans les limites imposées par la réalité ou la morale.

C’est ainsi que le pouvoir personnel, individuel, est limité par les lois de la physique, par notre condition humaine et par la morale, même si certains ne s’en préoccupent guère. Le pouvoir est aussi limité par l'interdépendance entre les êtres. La notion de pouvoir individuel doit donc avoir comme objectif l'intérêt général ou l’intérêt de la société.

En démocratie, celui qui exerce le pouvoir représente le peuple qui le lui a confié. La question de savoir qui détient le pouvoir (individu, classe sociale, groupe d'individus constitué de différentes manières, ensemble de la population), comment il l'a obtenu et comment il peut le perdre, détermine le niveau démocratique du régime politique lequel peut aller de la dictature à la démocratie directe. Et même lorsque l’on parle de démocratie, il faut préciser à quelle conception de la démocratie on fait référence : est-ce à sa conception anglo-saxonne qui laisse libre cours aux intérêts particuliers où à notre conception républicaine qui considère que l'intérêt général prime sur les intérêts particuliers ? Se pose aussi la question de la légitimité du pouvoir. Comment se définit-elle en République ? Selon Albert Camus, le pouvoir n’est « légitime que lorsque, à la tête de la nation, il reste l’arbitre qui garantit la justice et ajuste l’intérêt général aux libertés particulières. » En République, l’exercice du pouvoir qui provient du consentement des peuples doit être utile au peuple qui est le fondement de la légitimité politique.

Un rapport de forces morales ou physiques

Mais tout pouvoir implique un rapport de forces qu’elles soient morales physiques. Dans une démocratie, il existe tout un réseau d'obligations réciproques qui lient les gens, et les obligent ou les empêchent de se comporter d'une certaine façon au risque d’être puni. « Il existe deux manières d'obtenir ce pouvoir souverain. La première est la force naturelle... l'autre manière apparaît quand les hommes s'entendent entre eux pour se soumettre à tel homme ou à telle assemblée, volontairement, parce qu'ils leur font confiance pour les protéger contre tous les autres. Dans ce deuxième cas, on peut parler de République politique ou de République d'institution » nous dit Hobbes dans le Leviathan (chapitre XII).

Autre chose : les relations entre pouvoir et savoir. Si gouverner, c’est prévoir, pour prévoir, il faut savoir. Nul ne conteste le fait que ceux qui détiennent le savoir se trouvent en position de dominants par rapport à ceux qui sont maintenus dans l'ignorance, notamment de par leur situation sociale. « On a vérifié mille fois que le savoir est constamment localisé au plus près du pouvoir, de son exercice, de sa conservation et de sa conquête » écrit Michel Serres (Hermès, III). Il en va ainsi de tous les savoirs. Certaines expressions désignent le pouvoir accordé à un métier, une fonction ou un groupe d’individus (pouvoir médical, pouvoir scientifique, pouvoir religieux, pouvoir économique) ; elles indiquent que le pouvoir, issu d’un savoir, n’appartient pas seulement au monde politique. D’ailleurs, lorsque l’on est un homme politique, se pose la question de savoir comment traduire tant en politique intérieure qu'en politique extérieure, et plus spécialement en économie, les connaissances dont on dispose ? Se repose la question de la nature même de la démocratie et de la conception que l’on en a.

Le pouvoir aux marchés financiers

Chacun s’accorde donc aujourd’hui pour reconnaitre que ce sont bien les marchés financiers qui ont le pouvoir et que c’est bien l’intérêt particulier qui prime sur le collectif. Remontons un peu le temps pour notre démonstration ; jusqu’en 2011. Les gouvernements européens se réunissaient alors pour tenter de trouver des solutions politiques à la crise que traversait l’Europe. Alors qu’ils semblaient y être parvenus, une des principales agences de notation internationale, l’américaine Standard and Poor’s a dégradé la note française ce qui aurait dû l’obliger à emprunter à des taux plus élevés l’enfonçant ainsi davantage dans la crise. C’est comme si le pouvoir financier qui ayant perdu un peu de son pouvoir face au pouvoir politique voulait à tout prix le reconquérir.

Or, le pouvoir des agences de notation pose plusieurs problèmes. Celui de leur crédibilité : en fonction de quels critères jugent-elles ? Qui sont-elles pour posséder un tel pouvoir ? Elles n’ont de pouvoir que celui de l'autorité qui leur est accordée, alors même que les conditions de leur création, leur composition, leurs donneurs d'ordre, sont occultés (deux agences sur trois sont américaines), et que les conséquences de leur notation sont présentées comme inéluctables alors que, par exemple, la dégradation de la France n’a pas eu les conséquences prévues sur les taux des prêts qui lui seraient accordés puisqu’ils avaient été baissés par anticipation. Enfin, se pose la question de leur légalité, de leur « moralité », du lien entre politiques et financiers. En Europe, la dépendance des Etats s'amplifie par leur soumission « volontaire » aux financiers.

Parmi les élites européennes, Goldman Sachs a supplanté l’Ecole nationale d’administration (ENA). Cette banque d'investissement est surnommée « le gouvernement Sachs » parce qu’elle a fourni de hauts dirigeants aux États dans le secteur politique, économique et financier. Karel Van Miert et Peter Sutherland qui furent tous les deux Commissaires européens à la Concurrence, Mario Dragui, président de la Banque centrale européenne, Lucas Papademos, ancien Premier ministre grec et Mario Monti, qui qui fut Président du Conseil italien venaient de Goldman Sachs. Heureusement, le peuple grec a fini par faire preuve d’autorité dans les urnes en portant au pouvoir Alexis Tsipras qu’on ne peut soupçonner d’être inféodé aux marchés financiers.

Les agences de notation révélatrices de l’impuissance des politiques

Pour autant, il n’est pas non plus question de museler la capacité des agences à s’exprimer et de refuser à Standard and Poor’s son droit d’estimer, qu’à l’époque, l’accord européen n’était pas suffisant pour sortir l’Euro de la crise. Le problème vient des conséquences de cette notation et du poids qui lui est accordé.

Elles sont le « reflet, de l’impuissance des politiques à faire valoir une vision du monde autre que celle des intérêts financiers » nous expliquait André Orléans, économiste, directeur de recherche au CNRS, dans un entretien au Monde. Il nous dit que « dans la zone euro, le marché gouverne. (…) Le pouvoir politique se conforme à ses priorités et craint ses évaluations. » Pour autant, il reconnaissait alors que c’est par le biais de la puissance monétaire qu’il avait été possible de faire prévaloir l’intérêt collectif, mais pour que cela perdure, il était impératif que la banque centrale soit placée sous l’autorité du pouvoir politique. Or tel n’est pas le cas dans la zone Euro car il n’existe pas de « souveraineté européenne ». L’indépendance de la banque centrale est le stade le plus avancé de l’élimination du politique de la vie économique, car la puissance publique n’a plus de trésor et doit mendier de l’argent au financier privé.

S’il existait un véritable pouvoir politique européen, son premier geste fondateur serait de placer la Banque centrale européenne sous son autorité. Ce n’est pas le cas et les marchés financiers gouvernent. Des marchés qui, contrairement aux marchés de biens qui traitent de marchandises réelles et utiles aux consommateurs, fonctionnent sur la base de paris spéculatifs, subjectifs en fonction du « feeling » de traders dont l’approche est loin d’être humaniste. C’est pourquoi chaque jour de nouvelles initiatives de pirates de l’économie réussissent à faire main basse sur les finances. Ils décident en fonction de l‘opinion qu’ils se font de la macroéconomie, des institutions et de la politique menée. C’est ainsi que la primauté du politique sur le terrain de l’évaluation est battue en brèche par la finance.

La tentation du repli sur soi

A ce phénomène s’ajoute la solution du repli sur soi et, conséquemment, on voit, au loin, approcher les chemises brunes de l’extrême droite. Pourtant, le repli sur soi n’est pas une solution tant l’industrie s’est mondialisée. Tous les spécialistes reconnaissent que les leviers dont disposerait un Etat en se repliant sur sa seule communauté nationale ne seraient pas à la hauteur des problèmes.

En Europe, c’est donc bien d’une politique européenne commune dont on a besoin. Ce sera d’autant plus difficile que l’Europe n’est qu’une « juxtaposition de peuples. » Difficile alors d’imaginer qu’un « peuple nouveau » émerge. On cherche encore au nom de quelles valeurs pourrait se poursuivre la construction européenne alors que celle-ci se concentre depuis plusieurs années sur son expansion géographique au détriment de son approfondissement. Les valeurs humanistes sont tues dans les textes des traités et, en matière éthique il n'est fait référence, éventuellement, qu'aux religions. Pour parvenir à vaincre la pieuvre de la finance, qui est le fruit de la cupidité individuelle, il faudrait bâtir une force morale européenne collective que nous n’avons pas encore... De rudes efforts seront nécessaires pour y parvenir tant il est vrai que la morale ne s’impose jamais d’elle-même et que, pour que celle de Montesquieu et des Lumières ait pu le faire, il a fallu bien des combats.

Il ne faut pas pour autant se voiler la face et faire semblant de découvrir, horrifié, la dépendance du pouvoir politique envers les forces d'argent. Ce n'est pas une nouveauté. Louis XIV a toujours flatté les grands argentiers pour financer ses guerres et ses déficits. Cependant, il n’a jamais choisit ses ministres selon les volontés des financiers du Royaume. De même, financiers et techniciens ont toujours été présents dans de nombreux gouvernements. Citons, entre autres Turgot, Necker, Casimir Périer, Raymond Barre… Bien avant, les Médicis furent banquiers avant de tenir les rênes du pouvoir. Rappelons-nous également qu’en octobre 1934 à Nantes, Edouard Daladier dénonça l'influence des milieux financiers sur la vie publique devant le congrès du Parti radical. Il stigmatisa les « deux cents familles [qui] sont maîtresses de l'économie française et, en fait, de la politique française. Ce sont des forces qu'un État démocratique ne devrait pas tolérer. L'influence des deux cents familles pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit. Les deux cents familles placent au pouvoir leurs délégués. Elles interviennent sur l'opinion publique, car elles contrôlent la presse. »

La vie démocratique en danger

Voilà qui pourrait mettre en danger la vie démocratique. Mikis Theodorakis l’a clairement déclaré lorsqu’il proposa de résister « au totalitarisme des marchés qui menace de démanteler l’Europe en la transformant en Tiers-monde, qui monte les peuples européens les uns contre les autres, qui détruit notre continent en suscitant le retour du fascisme. » Le compositeur grec, résistant de la première heure contre l’occupation nazie et fasciste, combattant républicain lors de la guerre civile et torturé sous le régime des colonels invite les peuples du vieux continent à bâtir ensemble, « une Europe nouvelle ; une Europe démocratique, prospère, pacifique, digne de son histoire, de ses luttes et de son esprit. »

Les politiques ont toujours eu conscience du danger qu’il y avait de laisser trop de pouvoir aux marchés financiers. C’est pourquoi, en 1933 aux USA, le Glass-Steagall Act a institué une incompatibilité radicale entre les métiers de la banque de dépôt et de la banque d’investissement. En reconnaissant ainsi les dangers de la spéculation, on protégeait le circuit des dépôts et du crédit. 

Globalisation des marchés et médiocrité intellectuelle

Alors pourquoi en est-on arrivé à la situation que nous connaissons aujourd’hui ? En 1999 le Glass-Steagall Act a été supprimé. Plus sur le fond, un philosophe, David Brunat nous explique que le capitalisme financier a acquis, « dans les faits mais aussi dans les têtes, une puissance qu’il n’avait jamais eue et ce, sous le triple effet de la globalisation des marchés, de l'accélération des transactions via les technologies de l'information, mais aussi d'une espèce de révolution copernicienne dans l'échelle des valeurs, où le trader, le patron de hedge-fund, le spécialiste en produits dérivés, etc. sont devenus des icônes pour une large frange de la ‘jeunesse qui gagne’ et pour les classes dirigeantes. » Il dénonce « la vertigineuse médiocrité intellectuelle d'un bon nombre d'entre eux et leur inaptitude à voir plus loin que le bout de leur nez. Combien d'ignorants et d'imbéciles autour de la
« Corbeille », combien de « faiseurs d'opinion » qui n'ont aucune opinion bien nette en dehors de leur champ de manœuvre ...
» Peut-être conviendrait-il donc de recruter les « traders » ailleurs que dans la sphère économico-financière et de leur faire signer un code de déontologie comme c’est le cas pour l’exercice de certaines professions.

Les inégalités se creusent

D’une manière plus générale, le capitalisme a connu d’importantes évolutions et contradictions internes. De capitalisme industriel, reposant sur le travail, il est devenu essentiellement financier, basé sur le rendement de l'argent. Les marchés financiers agissent telle une pieuvre se déployant dans tous les domaines, générant, d'une part l'enrichissement exorbitant d'une minorité et d'autre part la paupérisation d'une partie de plus en plus importante des populations. Entre 2010 et 2014, la fortune des 80 personnes les plus riches du monde a augmenté de 600 milliards tandis qu’elle a diminué pour la moitié les plus pauvre de la population. Aujourd’hui 80 % des personnes les plus riches du monde se partagent le même montant de richesses que 3,5 milliards d’autres. Ces chiffres proviennent d’un rapport publié en janvier 2015 par l’ONG Oxfam selon lequel « la part du patrimoine mondial détenu par 1% des plus riches était passée de 44 % en 2009 à 48 % en 2014, et dépasserait 50 % en 2016. » Le rapport indique que « 80 % de la population mondiale doit se contenter de seulement 5,5 % des richesses. »

Ubérisation de l’économie : des millions d’emplois détruits

Un nouveau phénomène inquiétant apparait aujourd’hui, c’est l’ubérisation de l’économie. Elle marche main dans la main avec la dérégulation qu’au nom de l’ultra libéralisme on érige aujourd’hui en forme de pensée unique. Elle permet à une start-up, grâce à une plateforme numérique, de mettre en relation les entreprises et leurs clients. C’est la définition qu’en donne l’économiste Bruno Teboul, auteur de l'ouvrage « Ubérisation = économie déchirée ? » (Editions Kawa, 2015) dans un entretien qu’il a accordé au Figaro (10 novembre 2015). Selon lui, ce sont des millions d’emplois qui sont menacés. « D'ici 2025, 3,5 millions d'emplois seront détruits en France à cause de la numérisation de l'économie, dont l'ubérisation est une des conséquences. D'ici dix ans, 42 à 47% des emplois ne seront plus effectués par des humains mais par des « robots ». Je pense notamment aux employés de banque, aux notaires, aux comptables ou encore au département des RH et de la gestion. » En fait, l’ubérisation, c’est l’ultralibéralisme porté à son paroxysme. Alors qu’il existe encore certaines barrières, une régulation, des garde-fous, dans l’économie traditionnelle l’ubérisation va les abattre et ouvrir la porte sur une forme de jungle économique dans laquelle le plus rapide sera le meilleur. Et si elle fait le bonheur des consommateurs, elle fera le malheur des salariés, notamment des moins qualifiés nous dit Bruno Teboul qui estime que cela « ne fera qu'accroître les inégalités sur le marché du travail et installer un phénomène de «freelancisation» et d'intermittence généralisée. »

Les marchés financiers pour payer la dette publique

La question de la dette publique se pose également dans des termes de plus en plus préoccupants puisque les réformes du système financier entreprises par les politiques l’ont été notamment pour mette en place les besoins de financement de la sphère publique. Et aujourd’hui, pour réduire la dette, c’est aux marchés financiers que l’on fait appel.

Enfin, la construction européenne s'est appuyée sur l'économie. Dès ses origines elle fut conçue comme un marché. Elle a commencé par la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier. Ses initiateurs pensaient alors que la dynamique industrielle et commerciale constituerait « le plus fort ferment d'intégration. » Ce fut une erreur. A propos de la construction européenne, on a attribué à Jean Monet, la déclaration suivante : «Si c'était à refaire, je commencerais par la culture » Un de ses anciens collaborateurs avait précisé qu’il n’avait jamais prononcé une telle phrase mais que son « projet était d'abord politique, même s'il commençait par une action dans des domaines socio-économiques à forte signification symbolique : le charbon et l'acier. »

Les économistes énoncent un certain nombre de pistes qui semblent évidentes : faire disposer chaque pays d’une politique budgétaire autonome, réduire les niches fiscales, imposer plus fortement les hauts revenus et faire en sorte que les banques investissent dans l’économie réelle, créatrice de biens et d’emplois. De même, pourquoi ne pas imaginer que lorsqu’une innovation financière serait proposée, on se poserait la question de savoir si elle est bonne pour l’économie.

De même alors que les institutions européennes se sont ligotées s'interdisant leur propre financement via la Banque centrale européenne, pourquoi ne pas donner à cette dernière, le même rôle que celui dont dispose la Banque Fédérale Américaine.

Enfin, le politique doit reprendre toute la place qui est la sienne et remette ses bailleurs à leur place. Il faut construire une véritable communauté et faire en sorte que la politique européenne ne se réduise pas à des rencontres d’experts évoquant des questions uniquement techniques. Ajoutons à cela le fait que la démocratie est battue en brèche par la multiplication des « mini sommets » à deux ou à trois qui entraînent la quasi-paralysie du Parlement Européen. Il faut se poser la question du consentement européen.

Si les politiques sont démissionnaires face à l'omnipotence de la Finance c’est qu'ils partagent souvent la même idéologie. Les élus des peuples sont, lorsqu’ils ne sont pas de ce camp, contraints à se soumettre à l’aristocratie financière laquelle a une idée très précise et très pyramidale du pouvoir qu’elle peut exercer.

C’est donc bien une question de volonté politique. Le politique redeviendrait ainsi l’homme libre vis-à-vis des marchés qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être puisque comme le dit Montaigne, « la vraie liberté est de pouvoir toute chose sur soi. »

Franck Gougeon

20 mars 2015

Agir ensemble

 

Concurrence ou mise en commun :

quels choix entre guerre et fraternité pour la construction d'un monde meilleur ?

Contribution à la recherche de nouvelles constructions sociales

14 décembre 2011

 

Le débat politique est trop souvent caricaturé comme une opposition entre une tendance libérale, qui autoriserait l'initiative, et donc le progrès technologique, et une tendance dirigiste collectiviste, qui viserait une utopie de progrès social.

En fait, une telle représentation, si elle a le mérite de mettre en scène deux forces réelles de la vie politique, ne permet pas d'engager ce qui paraîtrait le plus efficient pour la société, c'est-à-dire une combinaison optimum de ces deux forces, vers un idéal commun de progrès.

L'histoire s'est chargée de faire justice entre ces deux « partis », condamnant à l'échec les tenants de l'une et l'autre thèse. Entre 1990 et 2010 vingt ans à peine séparent la défaite du collectivisme des pays de l'Est de l'effondrement du libéralisme dérégulateur dont on ne sait sortir.

C'est cette incapacité même à identifier les conséquences de l'insouciance citoyenne suffisamment tôt pour prévenir la catastrophe, qui doit nous interroger

*

Il y a là un manque de lucidité qui pourrait bien correspondre à l'incapacité qu'ont les groupes humains, des plus petits aux plus grands - familles ou Nations comme Humanité - à élaborer un véritable idéal commun progressif et évolutif.