Susanne Charles
DES CRISES A LA RECHERCHE DES PROGRES !
VERS UN NOUVEL HUMANISME ?
« Les amis de la vérité sont ceux qui la cherchent et non ceux qui prétendent la détenir » Condorcet.
Pourquoi ce titre ? Parce que je crains que l’humanité souffre de deux grands maux : les mutations et les crises, avec une société de plus en plus inégalitaire, et assez curieusement souffre aussi du progrès, avec une incompréhension de notre futur.
1° LES CRISES ?
Toutes les époques, du moins depuis le XIXè siècle, aussi bien dans les périodes de croissance économique que de récession, ont été décrites en termes de crise, de déshumanisation, de fin des idéologies. Crise ? Un mot passe-partout ? Un mot fait de malaise, de crainte, de peur, et un mot qui n’explique rien !
« Ainsi tout est crise. L’intempérance des agioteurs, crise financière. Les stratégies cyniques sur hedge funds, crise obligataire. La valse des rachats de prêts, crise immobilière. Les jeux boursiers sur denrées agricoles, crise alimentaire. Les escroqueries dans l’élevage et l’abattage, crise sanitaire. La convoitise des actionnaires qui délocalisent, crise économique. La surexploitation des ressources naturelles, crise écologique. Les dégraissages pour accroître les dividendes, crise sociale. Les cadeaux fiscaux aux nantis, crise budgétaire » ( Christiane Taubira, 2017)[1].
Ces crises sont liées aux contradictions de notre système économique, d’une politique qui continue à prôner une croissance économique illusoire, d’un capitalisme qui veut imposer dans l’économie du marché toutes les activités humaines comme activités marchandes et qui veut privilégier l’intérêt privé tant sur le plan social qu’écologique.
La libéralisation des échanges était considérée apporter la prospérité, dans les pays développés mais aussi ceux en voie de développement. Mais les traités économiques ont largement été inégaux et ont été considérés comme une nouvelle méthode d’exploitation des pays pauvres par les pays riches. Le modèle néo-libéral «c’est l’austérité pour les pauvres et la générosité pour les nantis, … la rhétorique du libre marché n’est manifestement qu’une façade, dissimulant un programme politique qui consiste … à réduire les impôts des riches et les prestations sociales des pauvres »[2]
Le néolibéralisme prétend que les pays riches doivent devenir encore plus riches pour que les pays pauvres puissent éventuellement devenir un peu moins pauvres. Un beau conte pour enfants !
Même si le marché économique se doit de créer de la richesse, ce serait une erreur de respecter la pensée unique « moins d’Etat, c’est mieux » et de baser la politique uniquement sur l’accumulation de richesse. «Cela devient inquiétant quand, à force de répéter qu’il y a trop d’Etat, la tentation finit par naître, dans certains esprits, qu’il n’y ait plus qu’un Etat minimum, strictement cantonné dans ses fonctions régaliennes d’administration, de justice, de police et de diplomatie, et qui, pour toutes les autres questions, c’est-à-dire, en temps de paix, pour la plupart des questions vraiment importantes, laisserait fonctionner les fameux mécanismes autorégulateurs du marché. … Ne devons- nous pas penser qu’il y a des choses qui ne sont pas à vendre (la vie, la santé, la justice, la liberté, la dignité, l’éducation, l’amour), on ne peut pas tout soumettre au marché: il faut résister à la marchandisation de toute notre vie, aussi bien individuellement (c’est le rôle de la morale et de l’éthique) que collectivement (c’est le rôle de la politique). Les trois sont nécessaires. Mais, à l’échelle de la société, c’est la politique qui est la plus efficace : nous avons besoin d’un Etat pour organiser la part non marchande de la solidarité, pour veiller exactement à ce qui n’est pas à vendre » (Comte-Sponville, 1995)[3].
L’économie du marché et le néolibéralisme gangrènent les activités humaines, aussi bien sur le plan social qu’écologique. L’éthique du progrès doit repenser notre relation à l’environnement au niveau de chaque être humain, mais également en tant qu’humanité. Il s’agit de préserver nos écosystèmes: c’est notre « village global » qui est en danger. On essaie de nous tranquilliser avec une croissance verte, mais, en réalité, il nous faudra inventer un nouveau paradigme avec un changement profond de société et une remise en cause totale des pouvoirs du marché. Le « tout à l’économique » et à la croissance est un leurre. La conscience disparait dans le consumérisme, elle a perdu son être dans la recherche de l’avoir. Il nous faut rester nous-mêmes et ne pas s’affairer à gagner en avoir ce que nous pouvons gagner en être.
Pouvons-nous vivre heureux dans une société du « tout à l’économique » et dans un monde de consommation ? Nous sommes en recherche d’une vie intérieure épanouissante, où nous pourrions déployer nos potentiels humains. La recherche de sens doit se réaliser ici et maintenant dans le cadre d’une société en mutation.
La crise du modèle de croissance est aussi celle des conditions matérielles du dépassement des injustices sociales. La lutte des laissés pour compte de nos sociétés, à savoir les « sans » (sans travail, sans toit, sans accès aux soins, sans papiers, sans terre …), émerge et se développe. Ce que le devenir des « sans » nous révèle, c’est que le système-monde n’est plus défendable, que l’on démantèle la sécurité sociale et les services publics au profit des nantis et des véritables décideurs à savoir les marchés financiers, et qu’on essaie d’y imposer une discipline. On essaie de suppléer l’absence de promesse avec du contrôle. Des moyens colossaux sont prévus pour la sécurité, y aura-t-il autant de moyens pour l’éducation, la culture ? Ne faut-il pas s’inquiéter de l’injustice, de l’inégalité à l’origine d’exclusions, qui elle-même est à l’origine de violence ?
Ne faut-il pas nous interroger en 2021 sur le fait que l’enseignement, l’art, la culture, sont considérés comme des activités non rentables ? N’aurions-nous toujours pas compris que nous devrions donner à notre jeunesse une vision positive de la société ?
Toutes ces crises doivent donc nous émouvoir dans une recherche du progrès de l’humanité.