Nous avons l’impression que les jeunes générations de Français ont devant eux un avenir incertain. Que faudrait-il souhaiter pour éclairer l’avenir des générations futures ?
L’avenir de l’Europe est certainement l’un des facteurs déterminants de l’avenir que vivront nos successeurs ! Or l’Europe, telle qu’elle est en marche, n’offre pas une perspective enthousiasmante. Quelles évolutions de l’Europe faudrait-il souhaiter pour que les perspectives d’avenir soient meilleures ?
Mais d’abord, que faut-il souhaiter aux générations futures ? On peut souhaiter à nos successeurs de vivre heureux et en bonne santé, chacun selon ses goûts, de façon indépendante de toute autorité totalitaire, qui chercherait à régler de façon normative autoritaire la vie des esprits et des corps. Il faut leur souhaiter de vivre individuellement de façon indépendante, mais tous intégrés dans une société solidaire et unie, pacifique et tolérante, offrant à chacun les mêmes chances de déployer ses talents, et attentive à la solidarité des mieux traités par la nature et les circonstances, avec les moins favorisés et les accidentés de la vie. Ce sont là des conditions qui dépendent étroitement de l’organisation et du fonctionnement de la société, aux plans politique et économique.
Le premier facteur d’un avenir heureux est donc la forme politique de l’organisation de la société. La société souhaitable est évidemment une démocratie laïque. Mais pour que la démocratie fonctionne, il faut que les citoyens soient éclairés. Noter ici que la nature et le fonctionnement de la société dépendront assez largement de la formation qui aura été donnée au futur citoyen. Pour que la laïcité soit efficace, par exemple, il faut que l’éducation n’ait pas préparé les esprits au fanatisme religieux. Enfin, pour que la société soit solidaire et que tous les citoyens aient le sentiment de vivre ensemble dans les mêmes espaces publics, il faut que l’éducation ait développé chez tous le sentiment d’égalité et non l’esprit de classe ou de communauté. La qualité démocratique et laïque de la société sera donc déterminée par la qualité de l’éducation donnée aux jeunes générations.
Le deuxième facteur est la forme économique du fonctionnement de la société. Si l’économie est totalement indépendante du politique, elle favorisera de façon mécanique ce que l’on a appelé l’exploitation de l’homme par l’homme. L’exploitation de l’homme par l’homme a toujours été à la base de la production de richesses. Mais la civilisation s’est toujours efforcée de la modérer par l’action politique. Toutefois les conditions d’aujourd’hui rendent difficile le contrôle de l’économie par le politique ; cela en raison de la façon dont la mondialisation se développe et où l’Union Européenne gère les affaires. Le fonctionnement de l’économie, totalement libéré du contrôle politique, conduit à la constitution de pôles mondialisés de pouvoir financier, de plus en plus édifiés « hors sol » sans aucun lien de solidarité morale avec les populations, avec les nations. Les individus qui sont dans ce mouvement de l’économie mondialisée, s’enrichissent de plus en plus et se séparent, par le mode de vie, du gros de la population. Sous une autre forme, c’est une nouvelle société de privilégiés, séparée du commun, qui se constitue. La cause en est culturelle, elle réside dans l’idéologie néolibérale, nouvelle religion matérialiste de la croissance en capital. Une religion enseignée partout sous des formes diverses dès les études secondaires. Une religion qui conduit à l’épuisement de la nature et à la dégradation de l’environnement
Le troisième facteur à prendre en compte, qui est sans doute le plus déterminant pour l’avenir, est justement la maîtrise des conditions écologiques de la vie de l’humanité. Cette maîtrise de l’écologie, qui devrait s’imposer comme prioritaire, oblige à trouver une autre conception de l’économie. L’idéal serait une organisation volontariste des mécanismes économiques, permettant une utilisation mesurée des ressources de la nature, en fonction de ses possibilités, et un entretien de la qualité de l’environnement pour une vie saine de l’être humain. Enfin, dans un parti-pris humaniste, cette organisation économique devrait rechercher une modération des inégalités de façon à permettre une harmonisation pacifique des relations humaines dans un espace public de vie ensemble.
Dans tous les cas, l’éducation, comprise comme la transmission de la connaissance, mais aussi des valeurs, sera le déterminant de la qualité de l’avenir. Une éducation conduite depuis la petite enfance jusqu’à l’âge où l’individu devient citoyen, devrait le préparer à prendre sa place dans la société. Elle devrait bien sûr le préparer à prendre une place dans la société par son travail, c'est-à-dire en lui donnant l’aptitude à exercer un métier et à en changer éventuellement. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi préparer le citoyen et le ressortissant d’une culture, à vivre dans une société démocratique et laïque. Il faudra donc réfléchir à la façon de faire évoluer l’éducation, pour inculquer non seulement la connaissance la plus objective de la nature et de l’univers, mais aussi les valeurs d’humanisme et de civisme susceptibles de préparer l’individu à vivre en harmonie avec ses concitoyens et plus généralement avec ses semblables.
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L’Europe telle qu’elle est, si elle poursuit sur sa lancée, n’est pas susceptible d’aller vers un avenir tel que nous pourrions le souhaiter pour les générations futures.
D’abord, quand on parle d’Europe on est dans l’indéterminé. S’agit-il de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural dont parlait le général de Gaulle ? Parle-ton de l’Europe de l’Euro ? De l’Union Européenne ? Avec la Grande Bretagne ? Ou sans ? Etc.
Telle qu’elle fonctionne actuellement, l’Union Européenne ne prend pas en compte la nécessaire laïcité. Elle favorise le développement de l’économique mondialisé. Elle contrôle les structures politiques nationales pour leur imposer le plus grand libéralisme économique possible, et elle favorise l’éducation qui sert l’économique. L’Europe, telle qu’elle est en marche, conduit à l’évolution des sociétés vers un clivage social profond, entre une élite de privilégiés et une masse de travailleurs pauvres et de laissés pour compte. La classe moyenne perdant de plus en plus de son influence, nous retournons aux sociétés d’ancien régime. Pour les jeunes, en France, la mobilité sociale qui a diminué au cours du dernier quart de siècle, ne devrait pas dans ces conditions s’améliorer. Il ne s’agit-là que d’un jugement hâtif, pour l’approfondir il faudrait étudier les tendances évolutives actuelles de l’Europe.
Les structures politiques de l’Europe sont un défi à la démocratie. Cela pour une première raison fondamentale, que la notion de peuple européen n’est qu’une fiction. L’Europe est faite de peuples divers, qui ont certes des caractères communs, mais des différences culturelles fondamentales. Le cas de la Grande Bretagne en est l’une des illustrations des plus frappantes. Dans ces conditions, la démocratie ne peut valablement s’exprimer que dans le cadre des nations. Une question s’est posée dès le départ de la construction européenne : fédéralisme ou confédéralisme ? Elle n’a pas été résolue. Le pseudo-fédéralisme réalisé n’est pas satisfaisant.
Les structures économiques mises en place sont la conséquence des choix idéologiques de la direction politique technocratique et sans légitimité démocratique, qui s’est imposée. Dès le départ il y avait débat entre marché commun et zone de libre-échange. Mais il était avant tout recherché une ouverture au libéralisme économique et une élimination de toute forme d’économie socialiste. D’où une tendance au dépérissement des services publics, et la réduction drastique des mécanismes de solidarité, avec en contrepartie la privatisation des services et des domaines de l’État, accompagnée de réductions d’impôts et d’un endettement croissant des États. L’ouverture des frontières entre pays européens a inauguré une concurrence du moins-disant social, c'est-à-dire que les chefs d’entreprises avaient intérêt à produire là où la main d’œuvre était la moins chère, voire à faire venir dans un pays à haut niveau de prestations sociales, comme la France, des travailleurs de pays à faible protection sociale, comme la Pologne. Mais c’est avec l’ouverture des frontières au marché mondial que les pays européens ont connu une évolution drastique de leurs structures économiques. La circulation des capitaux étant entièrement libre, il devenait évidemment particulièrement attractif de désinvestir en Europe pour délocaliser dans des pays où étaient réduits, non-seulement le coût de la main d’œuvre, mais l’ensemble des coûts de production, y-compris la sécurité comme on l’a vu au Bangladesh, ce qui augmentait d’autant les marges. Le résultat de cette évolution économique voit la croissante prospérité des structures financières privées et des grandes entreprises mondialisées, ainsi que l’élévation du niveau de luxe des détenteurs de très grosses fortunes ; mais simultanément, l’écrasement des classes moyennes et l’augmentation de la pauvreté des classes populaires.
Revenons à la politique. L’Europe en tant qu’entité politique au plan mondial n’existe pas. Aussi bien à l’ONU que dans les diverses concertations internationales, elle n’est valablement représentée que par ses principales nations : la France, la Grande Bretagne, l’Allemagne. Au plan stratégique, l’Europe n’a aucune existence. Elle n’a ni armée ni diplomatie dignes de ce nom. La Défense de l’Europe c’est l’OTAN, et tout le monde sait qui dirige cette structure intégrée. Si un pays comme la France, ou la Grande Bretagne, a des intérêts spécifiques à défendre, il le fait avec ses moyens propres, sans manifestation de solidarité, autre que symbolique, de la part des autres pays européens. En conséquence, même au plan économique, l’Europe qui n’a déjà aucune personnalité spécifique affirmée, envisage de s’intégrer dans un vaste conglomérat économique Atlantique, avec les États-Unis.
Enfin, l’absence d’unité de l’Europe reste marquée par la spécificité des cultures nationales. Cela malgré les facilités contemporaines d’échanges. Et ces spécificités culturelles divisent les pays européens dans des domaines aussi sensibles que les rapports de la politique à la religion, la laïcité restant une exception française. Les pays européens restent également sur des positions diverses en ce qui concerne l’intégration des migrants et l’éducation de la jeunesse.
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Dans le cadre limité et forcément superficiel de cette réflexion, il n’est pas possible de penser proposer des solutions définitives pour faire évoluer l’Europe vers l’idéal que l’on voudrait pour les générations futures. Nous tenterons néanmoins d’esquisser des changements souhaitables, même s’ils peuvent paraître utopiques.
Quelle évolution de l’Europe faudrait-il souhaiter ?
On ne peut émettre qu’un avis, qu’il faudrait justifier par une étude plus sérieuse.
Il est à souhaiter que l’Europe se transforme dans l’avenir, pour rendre à des autorités politiques démocratiquement mises en place et révocables, le pouvoir de contrôler et réguler l’économie, afin de conduire à des sociétés européennes unies, cohérentes et solidaires. Il faudrait aussi qu’elle réalise une cohérence des régimes politiques des différents pays dans le sens d’une laïcité effective, d’une plus grande justice sociale et d’une éducation humaniste.
L’Europe devrait modifier ses structures d’organisation, aussi bien politiques qu’économiques sociales et culturelles, pour tenir compte de la réalité de la diversité des nations européennes, et conduire une politique de convergences, conduisant vers plus de cohérence et d’unité.
Cette politique devrait en priorité s’appliquer à l’éducation de la jeunesse à la citoyenneté démocratique et à la laïcité. Elle devrait conduire à la création d’une fédération de nations, constituant un pôle autonome de puissance, politique, économique, financier et stratégique.
En tout cas, dans le monde tel qu’il évolue, ce qu’il faut souhaiter ce n’est pas moins d’Europe, mais plus d’Europe et surtout mieux d’Europe ! Et c’est précisément à la jeunesse de s’intéresser à l’avenir de l’Europe pour en faire un pôle géopolitique puissant, certes allié au pôle de puissance nord-américain, mais autonome.
Claude J. DELBOS