Syndicalisme français

Le syndicalisme français est issu de violentes luttes sociales et, d'une légalisation tardive (1884). Dès les origines y cohabitent des conceptions sensiblement différentes de ses buts, de son indépendance, ou non, d'une éventuelle tutelle émanant de l'extérieur.

Son histoire est émaillée de différentes scissions quasiment toutes déclenchées par des événements exogènes, souvent de portée internationale mais fondées néanmoins sur ses divergences originelles au sein de la CGT alors que par ailleurs se développait un syndicalisme s'inspirant de la doctrine sociale de l'Eglise Catholique.

Un syndicalisme toujours mouvant, toujours en quête d'une unité perdue, résurgente brièvement à certaines périodes, devenue quasiment mythique, qui se traduit cependant par la recherche d'une unité, au moins dans l'action.

Un syndicalisme caractérisé en France par des taux de syndicalisation des salariés, très faible, à l'exception notable pendant plusieurs décennies du syndicalisme enseignant, qui connut des taux de syndicalisation très élevés, dans un milieu très féminisé.

Cette histoire heurtée aboutit au paysage actuel : celui d'un syndicalisme complexe au plan organisationnel, certes, avec des rapports de force mouvants en son sein, mais sous lesquels se dessinent cependant des lignes de force persistantes, telles que par exemple la progression, dans le domaine idéologique et dans la pratique, de la conception réformiste indépendante, d'un syndicalisme repoussant de plus en plus à sa marge les conceptions "révolutionnaires".

 

I UN NOUVEAU CONTEXTE : CELUI DELA MONDIALISATION

Cette dernière se traduit par une nouvelle structuration de la production. La division du travail devenue internationale est désormais dirigée par quelques grands groupes, tandis que les distributeurs mettent en concurrence les différentes unités de production. Visant une efficacité maximale, cette organisation exige une accélération, une plus grande efficacité, tant dans l'acheminement de l'énergie, des matières premières et des produits, que des hommes, ainsi que de plus grandes performances des systèmes de transmission. Les grands groupes multinationaux exercent leur lobbying sur les Etats, dont ils dépassent les frontières, et ont obtenu de ceux-ci la mise en œuvre du supranationalisme fondé sur les principes du libéralisme, voire de l'ultralibéralisme. Il se déploie dans de grandes zones de libre échange qui regroupent plusieurs Etats, lesquels s'appliquent à modifier leur propre législation nationale afin de lever tout obstacle à la circulation des hommes, des biens, des capitaux (ex : la Communauté Européenne, l'ASEAN, l'ALENA).

Ainsi, se constituent une sorte de "droit mou" (principes énoncés mais pas d'obligations), une jurisprudence, un droit, finalement supérieurs aux codes nationaux et aux conventions collectives.

II LES CARACTERISTIQUES DU SYNDICALISME FRANCAIS

A) De faibles taux de syndicalisation

C'est dans ce vaste contexte qu'il faut resituer le syndicalisme français. Or, ce dernier est souvent présenté, par certains auteurs, comme "le maillon faible" du syndicalisme européen au regard de son faible taux de syndicalisation - soit environ 8% des salarié en moyenne. Il partage pourtant cette caractéristique avec d'autres pays tels que l'Espagne et le Portugal, et alors qu'un mouvement de décrue de la syndicalisation se répand en Europe (à l'exception de la Suède). Décrue qui a commencé en France, d'ailleurs, dès les années 1975.

Cette situation est imputable à diverses causes communes, outre celles évoquées précédemment, citons-en quelques unes, liées directement à l'évolution de l'économie des pays Occidentaux comme :

-la nouvelle répartition des salariés dans les différents secteurs de l'économie occidentale, où désormais le secteur tertiaire supplante les secteurs I et II. Ainsi, ont disparu les "gros bataillons" traditionnellement syndiqués de la grande industrie, tandis que dans les nombreuses PME (Petites et Moyennes Entreprises), et PMI ( Petites et Moyennes Industries) , particulièrement en France, les traditions syndicales se sont perdues.

- la généralisation des privatisations, alors que justement les taux de syndicalisation dans la Fonction Publique étaient élevés, par exemple dans l'Education Nationale, pourtant très féminisée. Les personnels y bénéficiaient de statuts loin de la "flexiprécarité" idéalement proposée comme modèle par le Patronat.

- enfin la montée du chômage.

L'ensemble aboutit à inverser les rapports entre les syndicats et le Patronat. Ce dernier a l'initiative de la négociation, puisqu'il souhaite s'affranchir du respect des statuts préexistants et qu'il vise à éroder les "avantages acquis". Les syndicats sont acculés par la stratégie systématique du Patronat, sous-tendue par une idéologie clairement énoncée et assumée. Ils sont contraints d'innover en matière de modalités d'action. Mais cela signifie-t-il qu'ils aient, pour autant, renoncé à leur idéologie, voire à leurs idéologies ?

B) Un syndicalisme" idéologisé"

Nous entendons par "idéologie(s)" le fait que le syndicalisme français s'est aussi construit autour d'un débat d'idées, lequel est toujours présent. Il est à l'origine de deux branches. D'une part, celle qui s'inspire de la doctrine sociale de l'Eglise catholique, et d'autre part, celle qui s'inspire de l'histoire du socialisme. Il anime encore ces deux branches et engendre en leur sein des courants de pensée, des tendances. Il est un paramètre important qui intervient lors des scissions. Certains y voient des clivages, d'autres la richesse du pluralisme.

Les références idéologiques du syndicalisme français sont exprimées dans deux textes fondamentaux, eux-mêmes inspirés par deux analyses différentes, et de la société, et du rôle que doivent y tenir les syndicats.

- En 1891, l'encyclique papale, Rerum Novarum expose la doctrine sociale de l'Eglise laquelle s'articule autour de plusieurs principes : au premier rang desquels se place le caractère quasiment sacré de la propriété, puis l'inégalité dans l'espèce humaine comme étant un simple fait naturel, au nom duquel la soumission des travailleurs à leur condition est requise, la notion de classes ennemies repoussée, pour stipuler la recherche d'un équilibre harmonieux où chacun reste à la sa place dans des syndicats de corporation placés sous le contrôle de l'Etat. C'est conformément à cette doctrine qu'est créée la CFTC en 1919 (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens).

L'autre branche du syndicalisme français se réfère à la Charte d'Amiens. Le texte fut élaboré et adopté par le Congrès de la CGT (Confédération Générale du travail) en 1906 (CGT créée en 1895). La CGT était alors traversée par plusieurs courants de pensée tous, néanmoins, issus de la mouvance socialiste soit :

1) les réformistes favorables à une amélioration progressive des conditions de vie des salariés dans tous les domaines, visant cependant leur émancipation par rapport au capitalisme ;

2) les socialistes marxistes souhaitant l'instauration d'un régime socialiste sous l'égide d'un parti ;

3) les anarcho-syndicalistes dont le but est de renverser le capitalisme mais uniquement par l'action syndicale.

A l'époque, la prégnance de l'esprit libertaire sur le mouvement syndical était encore importante ; il se conçoit comme une contre-société opposée à la société officielle et donc à toutes ses institutions (Eglise, armée, Etat, partis...), il privilégie l'action directe.

Les tendances toutefois partagent la même analyse de la société, diamétralement opposée à l'analyse papale, car elles se prononcent pour "la lutte des classes". Leurs divergences portent sur le rôle du syndicat et ses rapports avec les partis politiques. Et, c'est donc par le rapprochement des tendances 1 (réformistes) et 3 (anarcho-syndicalistes) que le vote du texte fut possible.

Ce texte (la Charte d'Amiens) expose leur conception du syndicalisme français, laquelle en est devenue une des caractéristiques soit : la lutte des classes, la défense des intérêts de tous les salariés quelles que soient leurs options philosophiques et politiques, l'antagonisme avec le patronat dont il s'agit in fine de s'affranchir, l'indépendance du syndicat par rapport aux partis politiques (repoussant l'option de la tendance marxiste).

C) Le poids de l'Histoire et la quête de l'unité

Dès l'origine de la structuration des syndicats français, l'idéologie joue un rôle déterminant et, c'est pourquoi l'intervention de la "grande" Histoire eut d'importantes conséquences.

L'histoire du syndicalisme français est émaillée de scissions, de recompositions se greffant sur des divergences préexistantes, elle est marquée aussi par la quête d'une unité devenue mythique.

La première scission de la CGT intervint après la Révolution Russe lorsqu'en 192O, Lénine dressa la liste des 21 conditions permettant aux syndicats nationaux d'adhérer à la 3ème Internationale. Parmi celles-ci, la subordination du Syndicat au Parti.

La seconde grande scission eut lieu en 1947 au moment du Plan Marshall, dans les prémices de la Guerre Froide, et de la division du monde en 2 blocs.

La première provoqua le départ de la CGT de nombreux militants et adhérents marxistes qui créent la CGTU (Confédération Générale du Travail Unitaire). Tandis que la deuxième scission, alors que les communistes étaient devenus majoritaires à la CGT, eut pour conséquence la création de la CGT-FO (Confédération Générale - Force Ouvrière) par des militants refusant cette mainmise.

Une autre conséquence fut le refuge de plusieurs syndicats et fédérations syndicales dans l'autonomie. Celle-ci était envisagée comme un refus de prendre parti, comme étant provisoire en attendant la réunification de tous, et comme le moyen de préserver leur propre unité. Il en fut ainsi pour la puissante Fédération de l'Education Nationale, qui institua alors en son sein des tendances structurées, pour ses élections internes.

D) Une propension à l'émiettement

1) La branche chrétienne du syndicalisme n'est pas non plus épargnée par les scissions. Cependant, celles-ci interviennent plus tard et sont dues essentiellement aux divergences qui leurs sont propres.

En 1964, ces dernières apparaissent comme inconciliables, lors d'un débat sur la nécessaire modernisation et laïcisation de la confédération. Les uns y voient une trahison des idéaux chrétiens d'origine, les autres partent pour créer la CFDT (Confédération Française Démocratique du Travail).

Cette dernière radicalise ses positions, est cosignataire de 3 accords avec la CGT et soutient les étudiants en Mai 1968, alors que la CFTC apparaît figée voire intégriste, dans un contexte où l'Eglise catholique perd de son influence.

Mais à partir de 1978, la CFDT mène une politique de "recentrage", et, en 1988 naît une dissidence aux PTT dans la région parisienne. Elle met en cause les dirigeants. Ce mouvement se propage surtout dans la Fonction Publique (santé, défense, éducation...).

Le mouvement S.U.D. (Solidaires Unitaires Démocratiques) s'implante là où il y a déjà de fortes traditions syndicales. Ses militants et ses dirigeants, aguerris politiquement et engagés socialement, sont taxés de "gauchisme". Ils mènent une action multiforme, sans reconnaître ouvertement à leur mouvement un but de transformation sociale "révolutionnaire", en mettant en exergue les intérêts professionnels de leurs adhérents. Ceux-ci viennent d'autres organisations syndicales et notamment de celles constitutives du Groupe des 10 (créé en 1981 après la victoire de la Gauche).

2) Parmi les autonomes, la grande Fédération de l'Education Nationale a pu survivre et s'étendre pendant des décennies, tout en ayant en son sein tous les courants de pensée de l'ancienne CGT. Elle se trouvait au cœur d'une nébuleuse visant à couvrir tous les aspects de la vie sociale de ses adhérents (mutuelles de santé, d'assurance, loisirs, culture ...). Cependant, les risques de désaccords y étaient multiples, tant idéologiques qu'en termes de poids du nombre de syndiqués par secteurs de l'éducation, d'autant que l'Education Nationale recrutait de plus en plus d'enseignants dans le secondaire, dont le syndicat - le SNES (Syndicat National de l'Enseignement Secondaire) - était proche des communistes, affaiblissant ainsi relativement le SNI ( Syndicat National des Instituteurs) de tendance réformiste voire socialiste.

L'exacerbation des antagonismes provoque une scission en 1993. Celle-ci engendre 2 nouvelles organisations la FSU (Fédération syndicale Unitaire) dirigée par des responsables proches des communistes, et l'UNSA (Union Nationale des Syndicats Autonomes) dirigée par des réformistes (regroupant la FEN plus 3 syndicats autonomes). L'élargissement de cette dernière progresse dans d'autres secteurs de la Fonction Publique, mais aussi dans le secteur privé. Idéologiquement elle se situe dans la continuité du réformisme traditionnel.

Alors que l'on comptait 3 fédérations syndicales dans l'immédiat après-guerre, puis 5 depuis 1947, on compte actuellement 8 organisations syndicales. Elles participent toutes aux élections professionnelles (prud'homales, commissions paritaires, comités d'entreprise).

Peut-on dès lors considérer qu'il y a émiettement du syndicalisme ou qu'inversement se dessine une restructuration plus cohérente notamment au plan idéologique ?

III LES ENJEUX ACTUELS : UNE NOUVELLE DONNE ? UNE NOUVELLE CONFIGURATION ?

A) La question de la représentativité : Le syndicalisme français qui se veut indépendant s'inscrit dans un cadre démocratique où il tient le rôle de contre-pouvoir. Et, c'est la loi qui définit les règles de la représentativité des organisations syndicales. Or, elles ont changé avec la loi du 20 Août 2008, qui met en place un dispositif complexe, permettant cependant d'accorder ce droit à d'autres organisations que les 5 reconnues représentatives après 1947.

La reconnaissance de la représentativité, outre le droit de participer à toutes les élections professionnelles, apporte plusieurs avantages, tels que la participation aux négociations et au C.A des organismes paritaires, des subventions, et la représentativité accordée aux sections syndicales affiliées. La loi fixe aussi les seuils (en % de représentativité) permettant de valider la signature d'accords.

Cependant, cette loi est aussi le résultat d'un compromis, entre les 5 premières confédérations à avoir été reconnues, le MEDEF (Mouvement des Entreprises de France), et la Confédération des PME et PMI, tandis que d'autres mesures sont prévues pour la Fonction Publique.

En conséquence, cette loi est contestable aux yeux de certaines autres organisations syndicales, dont les contestations pourraient être à leur tout contestées. Donc devenir éventuellement un germe de division du syndicalisme français.

B) La mesure de l'audience des syndicats : Néanmoins, la participation de toutes les organisations aux diverses élections permet d'avoir un moyen supplémentaire -outre le taux de syndicalisation - d'évaluer l'audience des organisations syndicales.

En première analyse, on constate que le syndicalisme issu de la Charte d'Amiens y est largement majoritaire (soit 59,5% contre 30,3% pour celui issu de Rerum Novarum), que le syndicalisme autonome, malgré un vote significatif, est très largement minoritaire, et qu'enfin la CFE-CGC demeure la représentante des cadres .

Au-delà de l'analyse par "familles" syndicales, il est possible d'établir un classement des organisations au premier rang desquelles se trouve la CGT suivie de la CFDT, FO, UNSA, CFTC... Or, la CGT a fait au préalable sa mue, liée aux conséquences de l'effondrement de l'URSS.

C) La mue de la C.G.T. Le risque de marginalisation de la CGT, dans ce contexte géopolitique, était grande, et le statu quo la condamnait quasiment à la disparition. Il s'ensuivit plusieurs décisions destinées à l'éloigner du communisme, dont la modification de ses statuts.

Elu Secrétaire Général Bernard THIBAULT poursuit cette mue avec l'adoption, par les Congrès Confédéraux de 1999 et 2007, des principes suivants :

- un syndicalisme rassembleur soit un appel à l'unité d'action

- l'abandon de l'idée d'une avant-garde, et priorité donnée aux vœux des salariés dans leur diversité

- un syndicalisme de négociation.

Cependant, la CGT, pendant cette phase de transformation, doit tenir compte de la plus grande hétérogénéité sociologique de sa base et du décalage de "culture syndicale" entre certains militants et les adhérent, tout en adoptant une stratégie "d'unité d'action", et tenter par de nouvelles adhésions dans le secteur privé, de se rapprocher encore plus de la CFDT.

Ce phénomène constitue un élément important - voire décisif - de la nouvelle "donne" syndicale tandis que s'élaborent les conceptions d'une éventuelle nouvelle configuration syndicale.

D) Les conceptions d'une nouvelle configuration syndicale : L'unité d'action - construite notamment lors des dernières manifestations contre la réforme des systèmes de retraites du gouvernement Fillon - peut apparaître, aux yeux de certains, comme le prototype du "syndicalisme rassemblé" dans un seul syndicat" répondant aux vœux de la CGT laquelle privilégie son "alliance" avec la CFDT.

Cependant, la CFDT poursuit avec constance la ligne réformiste et n'est pas opposée au pluralisme syndical, lequel instaure dans d'autres pays comme l'Espagne, l'Italie, la Belgique, un équilibre assez stable et durable entre les différentes forces syndicales.

Enfin, d'autres envisagent une configuration franchement bipolaire selon deux orientations syndicales "celle de l'accompagnement social" autour de la CFDT, et celle de la "transformation sociale" avec la CGT, la FSU et les Solidaires.

Cependant, dans l'immédiat, la mise en concurrence au plan national - par la loi organisant la représentativité - risque de ralentir voire d'empêcher de nouveaux grands regroupements, alors que localement, existe la probabilité d'accords et d'action unitaire, sur la base de la solidarité interprofessionnelle. Le risque d'éparpillement persiste donc.

La configuration syndicale actuelle, pluraliste et mouvante, recouvre toutefois les progrès idéologiques d'un syndicalisme réformiste. Cette prégnance du réformisme sur le syndicalisme français participe de la démocratie à plusieurs titres. D'une part, parce qu'il implique l'indépendance des syndicats par rapport aux partis politiques et aux gouvernements, d'autre part, parce qu'il assigne à ceux-ci comme but la défense des intérêts particuliers des syndiqués quelles que soient leurs conceptions confessionnelles, politiques et philosophiques. Ainsi ce syndicalisme doublement a-dogmatique se rattache à la mouvance humaniste et contribue, dans son domaine, à l'émancipation de l'Homme.

M.-F. GALAND

BIBLIOGRAPHIE:

LANDIE Hubert / LABBE Daniel "Les organisations syndicales en France" - Des origines aux évolutions actuelles". Editions LIAISONS -2004

SOHIER Joël "Le syndicalisme en France" Edition VUIBERT Collection Explicit-2010

GALAND Marie-France/ MOLERES Jean "La scission syndicale de 1947/48" Les cahiers de la FEN n°10 - 1994

 

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