Libre circulation des hommes

A l’heure

où l’on peut passer en quelques heures d’un continent à un autre,

où les images télévisées sont retransmises d’un bout à l’autre de la planète,

où Internet permet à des personnes éloignées de dizaines de milliers de kilomètres de dialoguer en temps réel,

où la plupart des produits industriels peuvent être vendus sans restriction partout où des consommateurs sont susceptibles de les acheter,

où les services, notamment les services financiers et les capitaux peuvent s’échanger en quelques nanosecondes,

seul l’Homme n’a pas le droit de circuler librement sur sa planète.

 

Si les ressortissants des pays développés (un peu moins d’un milliard d’habitants, d’après les dernières statistiques de l’ONU) peuvent se rendre dans le pays de leur choix, sous réserve de ne pas s’y installer, le reste de l’Humanité (près de cinq milliards et demi d’êtres humains) est invitée à demeurer sur le lieu de sa naissance[1].

 

Cette situation ne peut que surprendre, d’autant que personne ne niera l’intérêt que les échanges ont représenté dans le passé et pourraient représenter dans l’avenir.

 

L’Occident a d’ailleurs largement bâti sa puissance et sa domination sur sa propension à voyager et à conquérir :

 

$1-          Alexandre-le-Grand, roi de Macédoine, qui conquit la Grèce, la Perse, l’Égypte et s’en alla vaincre les troupes du roi indien Pôros ;

 

$1-          Vasco de Gama, devenu Vice-Roi des Indes Portugaises ;

 

$1-          Christophe Colomb, découvreur des « Indes de l’Ouest » ;

 

$1-          Marco Polo, devenu Gouverneur de Yang Zhou, par la grâce de Kubilaï Khan ;

 

$1-          Savorgnan de Brazza, réputé avoir établi « pacifiquement » la domination française sur la rive droite du Congo ;

 

$1-          Etc., etc. !

 

Le grand dictionnaire encyclopédique Hachette parle ainsi de la France : « Peuplée dès le paléolithique supérieur par des chasseurs de bisons et de rennes, réfugiés lors de la dernière glaciation dans le Bassin aquitain »...

 

L’idée est amusante, de ces hordes de chasseurs de bisons et de rennes venus envahir le sol de notre pays et en déstructurer les équilibres, sans y avoir aucunement été invités.

 

Plus loin, dans le même ouvrage : « La mise en place du fond de peuplement s’achève, vers 450 avant J.C., par l’arrivée des Celtes, envahisseurs venus de l’Est ».

 

On retiendra l’usage du terme « le fond de peuplement », sans pouvoir déterminer combien, parmi les Français d'aujourd'hui, se rattachent directement à ce « fond de peuplement », et peuvent se proclamer descendants de ces « envahisseurs venus de l’Est ».

 

 « S’y mêlent également, les apports des envahisseurs germains, notamment ceux des Francs, qui reconstituent l’unité de la Gaule à l’époque mérovingienne, et ceux des Scandinaves qui occupent, au Xème siècle, la Normandie actuelle ».

 

Abrégeons ces citations, le propos n’étant pas de stimuler les réminiscences de l’histoire de France, mais de susciter la réflexion.

 

Laissons donc de côté les colonisateurs Grecs, Vandales, Suèves, Burgondes, Wisigoths, Hongrois et autres Sarrasins. Car si notre nation s’est construite par des vagues successives d’envahisseurs, qu’ils soient chasseurs de bisons, romains, celtes, huns ou arabes, c’est bien la preuve que la libre circulation des hommes, au moins à la force de l’épieu, de l’épée ou du canon, a été la grande affaire de toute notre civilisation.

 

Observons, d’ailleurs, que nos voisins se sont bâtis sur le même modèle, à coup d’invasions, de colonisations et d’immigrations. Allemagne, Italie, Espagne, sans parler des États-Unis qui sont l’exemple le plus récent où des envahisseurs ont construit une nation sur les ruines de plusieurs civilisations, moins développées, hélas pour elles, sur le plan technologique.

 

Est-ce à dire qu’à l’époque d’un Âge d’Or aujourd’hui révolu, les Hommes circulaient librement sur la Terre ? Certes, non !

 

Seule une minorité d’envahisseurs se lançaient dans une telle aventure. Généralement, ils n’étaient d’ailleurs pas vraiment les bienvenus dans les cavernes, les villages, les îles ou les pays qu’ils venaient conquérir, que ce soit à quelques centaines de mètres (pour les troglodytes), à quelques lieues ou à des milliers de kilomètres (pour les navires de Christophe Colomb ou ceux de Vasco de Gama).

 

Les troupes qui suivaient ces pionniers n’étaient d’ailleurs pas non plus nécessairement les bienvenues, qui venaient pour occuper ou coloniser.

 

Aujourd’hui, nous avons atteint la civilisation, la paix, l’ordre et la prospérité.

 

Pourtant, cette civilisation de paix et de prospérité est aujourd’hui devenue synonyme de « maîtrise des flux migratoires », c'est-à-dire négation d'une liberté fondamentale de l'Homme, à laquelle pas un d'entre nous n'accepterait, pour ce qui le concerne, la moindre atteinte : La Liberté d'Aller et Venir !

 

Les meilleurs esprits, pour justifier notre politique migratoire, trouvent d’excellentes excuses : « sinon, dans notre population, il y aura des réactions ». Ce sont les mêmes que celles du parent dont le fils possède un jouet, lorsqu’un autre, dans le bac à sable, le lui réclame : « ne lui prend pas, sinon il va réagir ». Un ancien Président de la République prétendait que, dans certaines cages d’escalier, « on sentait des odeurs ». Un autre que « La France ne peut accueillir toute la misère du Monde[2] ».

 

Pourtant, lorsque nos conquérants sont partis « civiliser » des contrées plus ou moins lointaines, qui s’est soucié de la réaction de leurs populations ? Qui s’est soucié des odeurs que dégageaient Christophe Colomb et ses soudards lorsqu’ils ont débarqué sur la côte Caraïbe ? Qui s’est demandé si l’Afrique du Nord pouvait accueillir les excédents de population d’Europe ou si les zones fertiles d’Asie pouvaient supporter une exploitation intensive, parfois en recourant à des cultures intensives de variétés végétales importées ?

 

Mais sans doute la présence de l’autre est-elle plus gênante lorsque l’on est un gueux ou un paysan sous-développé, que lorsque l’on a des armes, la supériorité technologique, en un mot la civilisation.

 

Selon une étude du Consulat Général de France à Londres, il y a plus de 300.000 Français installés au Royaume-Uni, dont 120.000 sont officiellement répertoriés à Londres. Cette présence aurait quasiment doublé depuis le début des années 1990, tant à raison d’opportunités d’emploi que pour  des raisons de fiscalité et de prélèvements sociaux.

 

Bien sûr, la France et le Royaume-Uni appartiennent à l’Union Européenne et la libre circulation des hommes y est consacrée par un traité. Mais peut-on vraiment accepter que les valeurs d’humanisme et de fraternité soient mesurées à l’aune de l’existence ou non d’un traité international ?

 

En outre, rétorquera-t-on, le mode de vie des Français en Angleterre n’est pas si différent de celui des autochtones et ne menace pas leur cohésion sociale. Ce qui nous ramène, pour l’essentiel, à la problématique des odeurs ... et des couleurs. On peut mélanger des Blancs avec des Blancs. On peut exporter des Blancs chez des Moins Blancs. Mais importer des Moins Blancs chez des Blancs constitue une menace pour le pacte républicain.

 

E. Guigou, ancienne Ministre de la Justice, témoignait : « On nous dit que l’immigration a changé, mais je me souviens de ce que me racontait mon grand-père italien des insultes qu’il avait subies à son arrivée en France, en 1913. Toutes les vagues d’immigrations ont été confrontées à un tel rejet. ».

 

Tous, nous avons connu, vécu, voire pratiqué ce refus de la différence, cette méfiance vis-à-vis de l'étranger, cette crainte de l'Autre.

 

Mais n'est-ce pas précisément l'objet de l'éducation et de la morale que de dépasser ces réactions animales ?

 

A défaut, il nous faudra changer notre système de valeurs. Décidons que les bons immigrés sont ceux qui s’imposent par la force, qui violent, qui tuent, conformément au modèle sur lequel se sont bâties nos civilisations et, plus récemment, comme fut accomplie la conquête de l'Amérique. Les mauvais immigrés sont ceux qui sont faibles, pauvres et qui réclament un avenir décent.

 

Abdou Diouf disait : « Tant qu’il y aura dans notre village Terre un petit quartier riche et de nombreux quartiers pauvres, il serait illusoire de prétendre contrôler les flux migratoires ».

 

C’est bien là que réside le problème. Il ne s’agit pas tant de valeurs de civilisation, d’ordre ou de respect du pacte républicain que de partage, de solidarité, en un mot de Fraternité.

 

Quiconque a traversé la Floride a pu percevoir, en concentré, l’image du monde que nous offrons. Des zones d’opulence, essentiellement habitées par des populations âgées, protégées par une multitude de clôtures et bénéficiant de la surveillance de gardes armés et de chiens, pour les préserver de la convoitise de ceux qu’ils ne rangent pas au nombre de leurs semblables.

 

Ces îlots de prospérité dans un des Etats des USA ne nous évoquent-ils rien ?

 

Ils nous renvoient au discours de ceux qui prétendent que l’accès aux soins ou à la résidence dans un pays prospère doit être réservé à ceux qui y sont nés et qui contribuent, par leurs impôts et contributions, à son système éducatif, à ses équipements collectifs, à son niveau de protection sociale.

 

De même que les populations pauvres, généralement noires ou d’origine « latine[3] », n’ont-elles aucune raison de vouloir entrer dans ces résidences riches et surveillées, que leurs propriétaires ont légitimement acquises avec leurs propres deniers, souvent issus d’occupations professionnelles fort légitimes.

 

La question n’est pas de savoir s’il est compréhensible (on évitera, de préférence, le terme « naturel ») de vouloir conserver, pour soi et ceux du groupe de population auquel on appartient, la légitime propriété des biens et services auxquels nous sommes attachés et auxquels nous avons contribué.

 

La question est : Est-ce là le monde que nous voulons ? Sont-ce là les valeurs dans lesquelles nous nous reconnaissons ?

 

Car il s’agit bien de valeurs.

 

Quel peut-être l'apport de la réflexion humaniste dans ce débat ? Quel peut être son rôle dans le siècle qui s'est ouvert depuis une quinzaine d’années ? Comment concilier nos valeurs d’Universalité, de Fraternité, avec la pérennisation d’une situation aussi inique ?

 

Dans le meilleur des cas, nous nous taisons, nous acceptons, au nom du pacte républicain, au nom de la modération, le dogme de la maîtrise des flux. Dans le pire des cas, nous tenons des discours que ne renieraient pas les courants de pensée les plus rétrogrades.

 

Comment donner corps à notre idéal, celui d’une espèce humaine unique, celui d’Hommes qui n’ont pas nécessairement à supporter toute leur vie la chance ou la malchance du lieu où ils sont nés ?

 

Comment, dans une telle situation, promouvoir la prise de conscience de l’unité de notre espèce et de la légitimité de son aspiration à un avenir meilleur ?

 

Cela supposerait que l’on prenne des risques, notamment celui de ne pas céder à la majorité silencieuse, au conformisme ambiant.

 

En refusant l’inacceptable, en acceptant d'être critiqués pour le caractère déraisonnable de nos propositions, nous serions en bonne compagnie ... historique.

 

Les abolitionnistes ont été sévèrement combattus, et pas seulement à l’époque de Victor SCHOELCHER (au XIXème siècle, les jeux étaient déjà largement faits, même les Britanniques nous avaient précédés). Tout au long des siècles précédents, et notamment du XVIIIème, les théories économiques les plus sérieuses démontraient que sans esclaves, c’en serait fini de la prospérité de l’Occident. Relisez les pages qu’écrivait Voltaire pour la défense de l’esclavage. Un chef d’œuvre d’humour noir (sans mauvais jeu de mots, a fortiori si Arouet le Jeune, comme le colporte la rumeur, s’est notablement enrichi grâce à la traite des Noirs !).

 

L’ouvrage de Claude-Adrien Helvetius, « de l’Esprit », fut condamné, lors de sa parution en 1758, par le Conseil du Roy et le Parlement de Paris, non seulement pour avoir prôné un athéisme radical mais également pour avoir défendu l’égalité entre tous les Hommes.

 

Les « suffragettes » ont été raillées, leurs revendications ont été jugées irréalistes, en particulier celle de bénéficier du droit de vote.

 

Permettre à chaque être humain de choisir le lieu où il veut vivre, de revendiquer une part de prospérité, est-il moins légitime que lutter contre l’esclavage, prôner la liberté de conscience ou revendiquer l’égalité entre hommes et femmes ?

 

Certes, il y a foule d’arguments, aussi bien rationnels que passionnels, pour s’opposer à la libre circulation des hommes : déstructuration de notre tissu social, croissance de la délinquance, déclin de nos valeurs spirituelles ou religieuses, tout est invoqué tour à tour.

 

Mais est-ce vraiment à la hauteur des ambitions de progrès et de Fraternité ?

 

A l’heure où la mondialisation touche tous les aspects de la vie économique, à l’heure où le G8 met en place les premières esquisses d’un gouvernement mondial, seuls les Hommes seraient exclus de ce vaste mouvement de libéralisation ?

 

Il serait souhaitable de supprimer les frontières pour les échanges de produits agricoles, de voitures ou de données numériques, mais pas pour les êtres humains ? N’importe quel flux de capitaux pourrait traverser la planète à la vitesse de la lumière, mais nos frères humains resteraient confinés dans la contrée où ils résident ? Les services de télécommunications, la distribution d’électricité, les transports seraient ouverts à la concurrence mondiale, mais on nierait tout droit à la libre circulation des Hommes ? Qu’est-ce qui justifie qu’on interdise à chacun de décider où il désire s’installer, où il souhaite vivre et s’établir ?

 

"Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité" proclame l'article 1er de la déclaration universelle des Droits de l'Homme.

 

Malheureusement, son article 13, paragraphe 1, ajoute "Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat". Pourquoi cette restriction "à l'intérieur d'un Etat" ? Pourquoi René Cassin, Prix Nobel de la Paix, a-t-il maintenu cette formule qui valide le principe selon lequel un être humain n'a pas le droit de s'établir dans le pays de son choix, ce qui correspond exactement à la réalité d'aujourd'hui ?

 

Une première mission concrète à laquelle s'atteler pourrait donc consister à faire remplacer, dans la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, les termes "à l'intérieur d'un Etat" par la formule "dans l'Etat de son choix".

 

Certes, cela n'ira pas sans difficultés et sans combats. Comme à l'époque des abolitionnistes qui se voyaient opposer les réalités économiques, on nous opposera les réactions des populations, les déséquilibres démographiques, les menaces d'explosions sociales, l’accroissement de la délinquance, la multiplication des actes terroristes.

 

Ces difficultés ne doivent être ni sous-estimées (elles justifieront une évolution progressive avant la suppression totale des frontières), ni servir de prétexte à l’immobilisme. D’ailleurs, cet immobilisme, outre son caractère immoral, ne constitue même pas une réponse efficace. Benjamin Stora, dans Le Monde du 5 mai 2015 constatait l’inefficacité de « la fermeture des frontières qui sédentarise les populations ». « La fermeture et le repli sur soi ne règlent absolument aucun des problèmes » ajoutait-il.

 

Au contraire, n'est-ce pas notre Monde lui-même qui risque d'exploser si nous n'entreprenons rien ? A-t-on pris la mesure de l'élan de sympathie, dans le Tiers-Monde, face aux attentats qui répandent le malheur en Occident ? Ne voit-on pas que ce sont les inégalités de développement, l’impossibilité pour des centaines de millions d’êtres humains d’assurer leur simple subsistance et celle de leurs proches, qui créent cette volonté de migrer, cet afflux de réfugiés, cette volonté d’affronter la mort et d’y succomber, comme à Lampedusa et dans toute la Méditerranée ? Ce sont elles également qui nourrissent les extrémismes et favorisent les discours de haine contre l’Occident, ses richesses et ses égoïsmes.

 

C’est bien pour cela que cet idéal que constitue la Libre Circulation des Hommes doit être promu et partagé, par-delà les objections raisonnables qui peuvent lui être opposées.

 

Nous savons bien que nous n’obtiendrons pas un monde idéal à bref délai. Mais nous perdrions l’essentiel de ce qui fait notre éthique à ne pas même essayer.

 

Nous sommes à la traîne, y compris de l’Église catholique qui, en dépit de ses contradictions, n’hésite pas à demander aux chrétiens d’être solidaires des immigrés sans papier, d’accueillir leurs frères humains. Au cours d’un entretien radiodiffusé, il y a quelques années, lors de la première occupation de la Basilique de Saint-Denis, l'évêque éponyme, Monseigneur Olivier de Berranger, au journaliste qui lui demandait s’il ne craignait pas que les prises de position en faveur des sans-papiers soient mal perçues par les autres habitants du diocèse (rappelons que nous nous situons dans un des départements les moins favorisés), a répondu « Le malheur des uns ne nous empêche pas de voir le malheur des autres ». Belle synthèse d’humanisme et de lucidité !

 

La promotion de la Libre Circulation des Hommes serait riche de potentialités à long terme, quoique très dérangeante à court terme.

 

Elle impliquerait qu’un Malien puisse vivre à Madrid ou à Paris, qu’un Chinois ait la faculté d’acheter une maison au Vietnam, qu’un Mexicain ait le droit vivre et travailler à New York, qu’un Israélien s’installe librement en Cisjordanie, comme un Palestinien pourrait acheter ou louer un logement à Tel-Aviv ou à Jérusalem Ouest.

 

Cela ne se fera pas en un jour, ni une décennie. Mais n’est-ce pas Lyautey qui, à ceux qui lui expliquaient combien il serait long de faire pousser des arbres dans l’Ouest marocain, répondit « eh bien, commencez tout de suite » ?

 

L’humanisme républicain doit être capable de porter haut et fort ce type de valeurs.

 

Seule la "mise en déséquilibre" de nos nations, y compris du confort de leur population, permettra qu'elles accordent enfin le niveau de priorité qui convient à la lutte en faveur du développement des pays les moins favorisés. Certes, nombreux seront ceux qui répondront en invoquant les souffrances des chômeurs et de ceux que les politiques de rigueur budgétaire frappent dans leur pouvoir d’achat. Mais ne nous trompons pas. Mis à part les sans domicile fixe et les jeunes en situation de grande précarité, les « Damnés de la Terre » ne vivent pas dans nos régions et ne se comptent ni parmi les cadres et professions libérales, ni au sein des corps de fonctionnaires, actifs ou retraités.

 

Que devons-nous faire, objectera-t-on ?

 

Tout simplement assurer la promotion de la Libre Circulation des Hommes, dans les esprits, dans les cœurs, dans tous les cercles où nous sommes actifs, afin que règne sur la terre d'après-demain l'Universalité que nous invoquons si souvent. Affirmer cet objectif de long terme que doit être la liberté de circuler et de s’installer. Imposer progressivement, dans tous les pays du Monde, que cet impératif soit inscrit dans les projets politiques et s’incarne progressivement dans des obligations concrètes et un calendrier réaliste mais ambitieux, qui ne se limite pas à ce que les plus égoïstes d’entre nous sont disposés à accepter.

 

Sinon, dans deux siècles, nos arrière-arrière-arrière-petits-enfants nous regarderons avec la même horreur que celle que nous éprouvons aujourd’hui pour ceux qui soutenaient que l’abolition de l’esclavage menaçait la prospérité des pays civilisés.

 

 « I had a dream... ». Le 28 août 1963, il y a plus d’un demi-siècle, Martin Luther King déclarait, devant 250 000 personnes, que tous les hommes ont été créés égaux. « J’ai fait le rêve » disait-il « qu’un jour mes quatre enfants vivront dans un pays où ils seront jugés selon leur personnalité et non selon la couleur de leur peau ».

 

« Let's have a dream... ».

 

Aujourd’hui, faisons le rêve que nos enfants et nos petits-enfants vivront dans un monde où ils ne seront pas jugés selon l’endroit où ils seront nés.

 

Quel projet plus enthousiasmant, en ce début de ce troisième millénaire de l’ère moderne ?

 

J.P.T.T.

 



[1]       Si l’on fait abstraction des élites politiques, économiques et culturelles de ces pays non développés, soit moins d’un pour cent de leur population.

[2]       Michel Rocard ajoutait « mais elle doit y prendre sa part ». Néanmoins, la part du RNB français consacrée à l’aide au développement reste, avec une moyenne de 0,41%, très éloignée de l’objectif fixé par l’OCDE (0,7%).

[3]       Le terme n’a rien à voir avec Rome, de même que le qualificatif « hispanique », utilisé pendant des décennies outre-Atlantique pour désigner les immigrés cubains ou d’Amérique latine n’avaient rien à voir avec la Castille.

La libre circulation des hommes

A l’heure

$1-          où l’on peut passer en quelques heures d’un continent à un autre,

$1-          où les images télévisées sont retransmises d’un bout à l’autre de la planète,

$1-          où Internet permet à des personnes éloignées de dizaines de milliers de kilomètres de dialoguer en temps réel,

$1-          où la plupart des produits industriels peuvent être vendus sans restriction partout où des consommateurs sont susceptibles de les acheter,

$1-          où les services, notamment les services financiers et les capitaux peuvent s’échanger en quelques nanosecondes,

seul l’Homme n’a pas le droit de circuler librement sur sa planète.

Si les ressortissants des pays développés (un peu moins d’un milliard d’habitants, d’après les dernières statistiques de l’ONU) peuvent se rendre dans le pays de leur choix, sous réserve de ne pas s’y installer, le reste de l’Humanité (près de cinq milliards et demi d’êtres humains) est invitée à demeurer sur le lieu de sa naissance[1].

Cette situation ne peut que surprendre, d’autant que personne ne niera l’intérêt que les échanges ont représenté dans le passé et pourraient représenter dans l’avenir.

L’Occident a d’ailleurs largement bâti sa puissance et sa domination sur sa propension à voyager et à conquérir :

$1-          Alexandre-le-Grand, roi de Macédoine, qui conquit la Grèce, la Perse, l’Égypte et s’en alla vaincre les troupes du roi indien Pôros ;

$1-          Vasco de Gama, devenu Vice-Roi des Indes Portugaises ;

$1-          Christophe Colomb, découvreur des « Indes de l’Ouest » ;

$1-          Marco Polo, devenu Gouverneur de Yang Zhou, par la grâce de Kubilaï Khan ;

$1-          Savorgnan de Brazza, réputé avoir établi « pacifiquement » la domination française sur la rive droite du Congo ;

$1-          Etc., etc. !

Le grand dictionnaire encyclopédique Hachette parle ainsi de la France : « Peuplée dès le paléolithique supérieur par des chasseurs de bisons et de rennes, réfugiés lors de la dernière glaciation dans le Bassin aquitain »...

L’idée est amusante, de ces hordes de chasseurs de bisons et de rennes venus envahir le sol de notre pays et en déstructurer les équilibres, sans y avoir aucunement été invités.

Plus loin, dans le même ouvrage : « La mise en place du fond de peuplement s’achève, vers 450 avant J.C., par l’arrivée des Celtes, envahisseurs venus de l’Est ».

On retiendra l’usage du terme « le fond de peuplement », sans pouvoir déterminer combien, parmi les Français d'aujourd'hui, se rattachent directement à ce « fond de peuplement », et peuvent se proclamer descendants de ces « envahisseurs venus de l’Est ».

 « S’y mêlent également, les apports des envahisseurs germains, notamment ceux des Francs, qui reconstituent l’unité de la Gaule à l’époque mérovingienne, et ceux des Scandinaves qui occupent, au Xème siècle, la Normandie actuelle ».

Abrégeons ces citations, le propos n’étant pas de stimuler les réminiscences de l’histoire de France, mais de susciter la réflexion.

Laissons donc de côté les colonisateurs Grecs, Vandales, Suèves, Burgondes, Wisigoths, Hongrois et autres Sarrasins. Car si notre nation s’est construite par des vagues successives d’envahisseurs, qu’ils soient chasseurs de bisons, romains, celtes, huns ou arabes, c’est bien la preuve que la libre circulation des hommes, au moins à la force de l’épieu, de l’épée ou du canon, a été la grande affaire de toute notre civilisation.

Observons, d’ailleurs, que nos voisins se sont bâtis sur le même modèle, à coup d’invasions, de colonisations et d’immigrations. Allemagne, Italie, Espagne, sans parler des États-Unis qui sont l’exemple le plus récent où des envahisseurs ont construit une nation sur les ruines de plusieurs civilisations, moins développées, hélas pour elles, sur le plan technologique.

Est-ce à dire qu’à l’époque d’un Âge d’Or aujourd’hui révolu, les Hommes circulaient librement sur la Terre ? Certes, non !

Seule une minorité d’envahisseurs se lançaient dans une telle aventure. Généralement, ils n’étaient d’ailleurs pas vraiment les bienvenus dans les cavernes, les villages, les îles ou les pays qu’ils venaient conquérir, que ce soit à quelques centaines de mètres (pour les troglodytes), à quelques lieues ou à des milliers de kilomètres (pour les navires de Christophe Colomb ou ceux de Vasco de Gama).

Les troupes qui suivaient ces pionniers n’étaient d’ailleurs pas non plus nécessairement les bienvenues, qui venaient pour occuper ou coloniser.

Aujourd’hui, nous avons atteint la civilisation, la paix, l’ordre et la prospérité.

Pourtant, cette civilisation de paix et de prospérité est aujourd’hui devenue synonyme de « maîtrise des flux migratoires », c'est-à-dire négation d'une liberté fondamentale de l'Homme, à laquelle pas un d'entre nous n'accepterait, pour ce qui le concerne, la moindre atteinte : La Liberté d'Aller et Venir !

Les meilleurs esprits, pour justifier notre politique migratoire, trouvent d’excellentes excuses : « sinon, dans notre population, il y aura des réactions ». Ce sont les mêmes que celles du parent dont le fils possède un jouet, lorsqu’un autre, dans le bac à sable, le lui réclame : « ne lui prend pas, sinon il va réagir ». Un ancien Président de la République prétendait que, dans certaines cages d’escalier, « on sentait des odeurs ». Un autre que « La France ne peut accueillir toute la misère du Monde[2] ».

Pourtant, lorsque nos conquérants sont partis « civiliser » des contrées plus ou moins lointaines, qui s’est soucié de la réaction de leurs populations ? Qui s’est soucié des odeurs que dégageaient Christophe Colomb et ses soudards lorsqu’ils ont débarqué sur la côte Caraïbe ? Qui s’est demandé si l’Afrique du Nord pouvait accueillir les excédents de population d’Europe ou si les zones fertiles d’Asie pouvaient supporter une exploitation intensive, parfois en recourant à des cultures intensives de variétés végétales importées ?

Mais sans doute la présence de l’autre est-elle plus gênante lorsque l’on est un gueux ou un paysan sous-développé, que lorsque l’on a des armes, la supériorité technologique, en un mot la civilisation.

Selon une étude du Consulat Général de France à Londres, il y a plus de 300.000 Français installés au Royaume-Uni, dont 120.000 sont officiellement répertoriés à Londres. Cette présence aurait quasiment doublé depuis le début des années 1990, tant à raison d’opportunités d’emploi que pour  des raisons de fiscalité et de prélèvements sociaux.

Bien sûr, la France et le Royaume-Uni appartiennent à l’Union Européenne et la libre circulation des hommes y est consacrée par un traité. Mais peut-on vraiment accepter que les valeurs d’humanisme et de fraternité soient mesurées à l’aune de l’existence ou non d’un traité international ?

En outre, rétorquera-t-on, le mode de vie des Français en Angleterre n’est pas si différent de celui des autochtones et ne menace pas leur cohésion sociale. Ce qui nous ramène, pour l’essentiel, à la problématique des odeurs ... et des couleurs. On peut mélanger des Blancs avec des Blancs. On peut exporter des Blancs chez des Moins Blancs. Mais importer des Moins Blancs chez des Blancs constitue une menace pour le pacte républicain.

E. Guigou, ancienne Ministre de la Justice, témoignait : « On nous dit que l’immigration a changé, mais je me souviens de ce que me racontait mon grand-père italien des insultes qu’il avait subies à son arrivée en France, en 1913. Toutes les vagues d’immigrations ont été confrontées à un tel rejet. ».

Tous, nous avons connu, vécu, voire pratiqué ce refus de la différence, cette méfiance vis-à-vis de l'étranger, cette crainte de l'Autre.

Mais n'est-ce pas précisément l'objet de l'éducation et de la morale que de dépasser ces réactions animales ?

A défaut, il nous faudra changer notre système de valeurs. Décidons que les bons immigrés sont ceux qui s’imposent par la force, qui violent, qui tuent, conformément au modèle sur lequel se sont bâties nos civilisations et, plus récemment, comme fut accomplie la conquête de l'Amérique. Les mauvais immigrés sont ceux qui sont faibles, pauvres et qui réclament un avenir décent.

Abdou Diouf disait : « Tant qu’il y aura dans notre village Terre un petit quartier riche et de nombreux quartiers pauvres, il serait illusoire de prétendre contrôler les flux migratoires ».

C’est bien là que réside le problème. Il ne s’agit pas tant de valeurs de civilisation, d’ordre ou de respect du pacte républicain que de partage, de solidarité, en un mot de Fraternité.

Quiconque a traversé la Floride a pu percevoir, en concentré, l’image du monde que nous offrons. Des zones d’opulence, essentiellement habitées par des populations âgées, protégées par une multitude de clôtures et bénéficiant de la surveillance de gardes armés et de chiens, pour les préserver de la convoitise de ceux qu’ils ne rangent pas au nombre de leurs semblables.

Ces îlots de prospérité dans un des Etats des USA ne nous évoquent-ils rien ?

Ils nous renvoient au discours de ceux qui prétendent que l’accès aux soins ou à la résidence dans un pays prospère doit être réservé à ceux qui y sont nés et qui contribuent, par leurs impôts et contributions, à son système éducatif, à ses équipements collectifs, à son niveau de protection sociale.

De même que les populations pauvres, généralement noires ou d’origine « latine[3] », n’ont-elles aucune raison de vouloir entrer dans ces résidences riches et surveillées, que leurs propriétaires ont légitimement acquises avec leurs propres deniers, souvent issus d’occupations professionnelles fort légitimes.

La question n’est pas de savoir s’il est compréhensible (on évitera, de préférence, le terme « naturel ») de vouloir conserver, pour soi et ceux du groupe de population auquel on appartient, la légitime propriété des biens et services auxquels nous sommes attachés et auxquels nous avons contribué.

La question est : Est-ce là le monde que nous voulons ? Sont-ce là les valeurs dans lesquelles nous nous reconnaissons ?

Car il s’agit bien de valeurs.

Quel peut-être l'apport de la réflexion humaniste dans ce débat ? Quel peut être son rôle dans le siècle qui s'est ouvert depuis une quinzaine d’années ? Comment concilier nos valeurs d’Universalité, de Fraternité, avec la pérennisation d’une situation aussi inique ?

Dans le meilleur des cas, nous nous taisons, nous acceptons, au nom du pacte républicain, au nom de la modération, le dogme de la maîtrise des flux. Dans le pire des cas, nous tenons des discours que ne renieraient pas les courants de pensée les plus rétrogrades.

Comment donner corps à notre idéal, celui d’une espèce humaine unique, celui d’Hommes qui n’ont pas nécessairement à supporter toute leur vie la chance ou la malchance du lieu où ils sont nés ?

Comment, dans une telle situation, promouvoir la prise de conscience de l’unité de notre espèce et de la légitimité de son aspiration à un avenir meilleur ?

Cela supposerait que l’on prenne des risques, notamment celui de ne pas céder à la majorité silencieuse, au conformisme ambiant.

En refusant l’inacceptable, en acceptant d'être critiqués pour le caractère déraisonnable de nos propositions, nous serions en bonne compagnie ... historique.

Les abolitionnistes ont été sévèrement combattus, et pas seulement à l’époque de Victor SCHOELCHER (au XIXème siècle, les jeux étaient déjà largement faits, même les Britanniques nous avaient précédés). Tout au long des siècles précédents, et notamment du XVIIIème, les théories économiques les plus sérieuses démontraient que sans esclaves, c’en serait fini de la prospérité de l’Occident. Relisez les pages qu’écrivait Voltaire pour la défense de l’esclavage. Un chef d’œuvre d’humour noir (sans mauvais jeu de mots, a fortiori si Arouet le Jeune, comme le colporte la rumeur, s’est notablement enrichi grâce à la traite des Noirs !).

L’ouvrage de Claude-Adrien Helvetius, « de l’Esprit », fut condamné, lors de sa parution en 1758, par le Conseil du Roy et le Parlement de Paris, non seulement pour avoir prôné un athéisme radical mais également pour avoir défendu l’égalité entre tous les Hommes.

Les « suffragettes » ont été raillées, leurs revendications ont été jugées irréalistes, en particulier celle de bénéficier du droit de vote.

Permettre à chaque être humain de choisir le lieu où il veut vivre, de revendiquer une part de prospérité, est-il moins légitime que lutter contre l’esclavage, prôner la liberté de conscience ou revendiquer l’égalité entre hommes et femmes ?

Certes, il y a foule d’arguments, aussi bien rationnels que passionnels, pour s’opposer à la libre circulation des hommes : déstructuration de notre tissu social, croissance de la délinquance, déclin de nos valeurs spirituelles ou religieuses, tout est invoqué tour à tour.

Mais est-ce vraiment à la hauteur des ambitions de progrès et de Fraternité ?

A l’heure où la mondialisation touche tous les aspects de la vie économique, à l’heure où le G8 met en place les premières esquisses d’un gouvernement mondial, seuls les Hommes seraient exclus de ce vaste mouvement de libéralisation ?

Il serait souhaitable de supprimer les frontières pour les échanges de produits agricoles, de voitures ou de données numériques, mais pas pour les êtres humains ? N’importe quel flux de capitaux pourrait traverser la planète à la vitesse de la lumière, mais nos frères humains resteraient confinés dans la contrée où ils résident ? Les services de télécommunications, la distribution d’électricité, les transports seraient ouverts à la concurrence mondiale, mais on nierait tout droit à la libre circulation des Hommes ? Qu’est-ce qui justifie qu’on interdise à chacun de décider où il désire s’installer, où il souhaite vivre et s’établir ?

"Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité" proclame l'article 1er de la déclaration universelle des Droits de l'Homme.

Malheureusement, son article 13, paragraphe 1, ajoute "Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat". Pourquoi cette restriction "à l'intérieur d'un Etat" ? Pourquoi René Cassin, Prix Nobel de la Paix, a-t-il maintenu cette formule qui valide le principe selon lequel un être humain n'a pas le droit de s'établir dans le pays de son choix, ce qui correspond exactement à la réalité d'aujourd'hui ?

Une première mission concrète à laquelle s'atteler pourrait donc consister à faire remplacer, dans la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, les termes "à l'intérieur d'un Etat" par la formule "dans l'Etat de son choix".

Certes, cela n'ira pas sans difficultés et sans combats. Comme à l'époque des abolitionnistes qui se voyaient opposer les réalités économiques, on nous opposera les réactions des populations, les déséquilibres démographiques, les menaces d'explosions sociales, l’accroissement de la délinquance, la multiplication des actes terroristes.

Ces difficultés ne doivent être ni sous-estimées (elles justifieront une évolution progressive avant la suppression totale des frontières), ni servir de prétexte à l’immobilisme. D’ailleurs, cet immobilisme, outre son caractère immoral, ne constitue même pas une réponse efficace. Benjamin Stora, dans Le Monde du 5 mai 2015 constatait l’inefficacité de « la fermeture des frontières qui sédentarise les populations ». « La fermeture et le repli sur soi ne règlent absolument aucun des problèmes » ajoutait-il.

Au contraire, n'est-ce pas notre Monde lui-même qui risque d'exploser si nous n'entreprenons rien ? A-t-on pris la mesure de l'élan de sympathie, dans le Tiers-Monde, face aux attentats qui répandent le malheur en Occident ? Ne voit-on pas que ce sont les inégalités de développement, l’impossibilité pour des centaines de millions d’êtres humains d’assurer leur simple subsistance et celle de leurs proches, qui créent cette volonté de migrer, cet afflux de réfugiés, cette volonté d’affronter la mort et d’y succomber, comme à Lampedusa et dans toute la Méditerranée ? Ce sont elles également qui nourrissent les extrémismes et favorisent les discours de haine contre l’Occident, ses richesses et ses égoïsmes.

C’est bien pour cela que cet idéal que constitue la Libre Circulation des Hommes doit être promu et partagé, par-delà les objections raisonnables qui peuvent lui être opposées.

Nous savons bien que nous n’obtiendrons pas un monde idéal à bref délai. Mais nous perdrions l’essentiel de ce qui fait notre éthique à ne pas même essayer.

Nous sommes à la traîne, y compris de l’Église catholique qui, en dépit de ses contradictions, n’hésite pas à demander aux chrétiens d’être solidaires des immigrés sans papier, d’accueillir leurs frères humains. Au cours d’un entretien radiodiffusé, il y a quelques années, lors de la première occupation de la Basilique de Saint-Denis, l'évêque éponyme, Monseigneur Olivier de Berranger, au journaliste qui lui demandait s’il ne craignait pas que les prises de position en faveur des sans-papiers soient mal perçues par les autres habitants du diocèse (rappelons que nous nous situons dans un des départements les moins favorisés), a répondu « Le malheur des uns ne nous empêche pas de voir le malheur des autres ». Belle synthèse d’humanisme et de lucidité !

La promotion de la Libre Circulation des Hommes serait riche de potentialités à long terme, quoique très dérangeante à court terme.

Elle impliquerait qu’un Malien puisse vivre à Madrid ou à Paris, qu’un Chinois ait la faculté d’acheter une maison au Vietnam, qu’un Mexicain ait le droit vivre et travailler à New York, qu’un Israélien s’installe librement en Cisjordanie, comme un Palestinien pourrait acheter ou louer un logement à Tel-Aviv ou à Jérusalem Ouest.

Cela ne se fera pas en un jour, ni une décennie. Mais n’est-ce pas Lyautey qui, à ceux qui lui expliquaient combien il serait long de faire pousser des arbres dans l’Ouest marocain, répondit « eh bien, commencez tout de suite » ?

L’humanisme républicain doit être capable de porter haut et fort ce type de valeurs.

Seule la "mise en déséquilibre" de nos nations, y compris du confort de leur population, permettra qu'elles accordent enfin le niveau de priorité qui convient à la lutte en faveur du développement des pays les moins favorisés. Certes, nombreux seront ceux qui répondront en invoquant les souffrances des chômeurs et de ceux que les politiques de rigueur budgétaire frappent dans leur pouvoir d’achat. Mais ne nous trompons pas. Mis à part les sans domicile fixe et les jeunes en situation de grande précarité, les « Damnés de la Terre » ne vivent pas dans nos régions et ne se comptent ni parmi les cadres et professions libérales, ni au sein des corps de fonctionnaires, actifs ou retraités.

Que devons-nous faire, objectera-t-on ?

Tout simplement assurer la promotion de la Libre Circulation des Hommes, dans les esprits, dans les cœurs, dans tous les cercles où nous sommes actifs, afin que règne sur la terre d'après-demain l'Universalité que nous invoquons si souvent. Affirmer cet objectif de long terme que doit être la liberté de circuler et de s’installer. Imposer progressivement, dans tous les pays du Monde, que cet impératif soit inscrit dans les projets politiques et s’incarne progressivement dans des obligations concrètes et un calendrier réaliste mais ambitieux, qui ne se limite pas à ce que les plus égoïstes d’entre nous sont disposés à accepter.

Sinon, dans deux siècles, nos arrière-arrière-arrière-petits-enfants nous regarderons avec la même horreur que celle que nous éprouvons aujourd’hui pour ceux qui soutenaient que l’abolition de l’esclavage menaçait la prospérité des pays civilisés.

 « I had a dream... ». Le 28 août 1963, il y a plus d’un demi-siècle, Martin Luther King déclarait, devant 250 000 personnes, que tous les hommes ont été créés égaux. « J’ai fait le rêve » disait-il « qu’un jour mes quatre enfants vivront dans un pays où ils seront jugés selon leur personnalité et non selon la couleur de leur peau ».

« Let's have a dream... ».

Aujourd’hui, faisons le rêve que nos enfants et nos petits-enfants vivront dans un monde où ils ne seront pas jugés selon l’endroit où ils seront nés.

Quel projet plus enthousiasmant, en ce début de ce troisième millénaire de l’ère moderne ?

J.P.T.T.



[1]       Si l’on fait abstraction des élites politiques, économiques et culturelles de ces pays non développés, soit moins d’un pour cent de leur population.

[2]       Michel Rocard ajoutait « mais elle doit y prendre sa part ». Néanmoins, la part du RNB français consacrée à l’aide au développement reste, avec une moyenne de 0,41%, très éloignée de l’objectif fixé par l’OCDE (0,7%).

[3]       Le terme n’a rien à voir avec Rome, de même que le qualificatif « hispanique », utilisé pendant des décennies outre-Atlantique pour désigner les immigrés cubains ou d’Amérique latine n’avaient rien à voir avec la Castille.

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