La Justice sociale

Aussi voit-on s’exprimer, à l’occasion des sacrifices demandés aux populations, l’idée, déjà ancienne, de la justice sociale. De toute évidence, elle ne s’impose pas d’elle-même. Elle mérite donc d’être analysée pour en comprendre les enjeux politiques et sociaux et les moyens de sa réalisation éventuelle.

Egalité et justice

Dans le contexte social actuel, le sentiment d’injustice s’exprime avec force. L’ampleur des inégalités conduit à s’interroger sur la portée de  la devise républicaine : Liberté, Egalité, Fraternité. Ces concepts semblent bien pâles au regard de l’idéal qu’ils représentent dans la pensée démocratique républicaine. Ce n’est que dans ce cadre que se pose la question de la justice sociale et des institutions justes. Ce ne sont pas les régimes autoritaires ou dictatoriaux qui cherchent des solutions à cette question.

En débattre, c’est d’abord prendre conscience des inégalités qui gangrènent nos sociétés. Une bonne information est nécessaire. On peut se fier aux statistiques officielles, ou à des études sérieuses, approfondies, rédigées par des économistes renommés, tels Stiglitz ou Piketty… Cet ensemble met en évidence le creusement des inégalités, le développement de grandes fortunes, la régression des classes moyennes, l’importance de la précarité et de la pauvreté, autant de conséquences désastreuses pour les sociétés déstabilisées.

Les économistes analysent les causes d’une telle situation. Leurs appréciations varient selon leurs options politiques  et  économiques, mais l’importance des inégalités ne semble pas contestée. Elles se manifestent dans de nombreux domaines : revenus, patrimoines, accès à l’éducation, à la culture, à la santé, mais aussi à des fonctions politiques et sociales. Le désir de justice sociale de plus d’égalité suppose de limiter les avantages acquis par les plus favorisés qui devraient en sacrifier certains, en partie tout au moins. C’est donc leur liberté qui est atteinte s’ils doivent renoncer à leurs ambitions de la plus grande réussite possible.

Ainsi, dans la devise républicaine, le couple liberté – égalité apparaît antagoniste. Certes, il existe des inégalités naturelles, physiques et mentales, de talents et de volontés, par exemple. Mais le libre jeu des mécanismes économiques sans limites  conduit à élargir le domaine des inégalités bien au-delà des effets des inégalités naturelles dans la réussite personnelle des acteurs de l’économie. Pour autant, si trop de libertés renforce les inégalités, l’égalitarisme serait contre-productif, sans doute insupportable  pour la société. Il conviendrait donc d’éviter  toute radicalisation dans un sens ou dans l’autre : mais sur quoi donc fonder et définir  un équilibre? Telle est la question que les sociétés doivent traiter si elles se soucient de justice sociale et notamment de partage raisonnable des richesses.

Il s’agit là d’un principe politique qui détermine la qualité des institutions d’un pays. Mais le mot justice possède d'autres sens : il désigne  une institution, le pouvoir judiciaire,  aux côtés du pouvoir législatif ( qui est dévolu, dans notre démocratie,  à un parlement composé d’élus au suffrage universel) et du pouvoir  exécutif, le gouvernement,  chargé d’appliquer les lois votées par le parlement. Enfin, le mot désigne encore une vertu, le sens de la justice, désirée pour la société, et qui crée une sensibilité forte à l’égard des injustices. Le principe de la séparation des pouvoirs, dans le régime démocratique exige que le pouvoir judiciaire doit être indépendant des deux autres afin de préserver l’impartialité des juges et le droit à l’égalité de tous les justiciables. Mais la tentation est forte de son instrumentalisation par l’exécutif, et il faut être vigilant à cet égard.

Théories de la justice

Depuis l’antiquité, les philosophes se sont penchés sur ce concept de justice. Aujourd’hui, Jonh Rawls (1921-2002), universitaire américain, a présenté une thèse célèbre, la Théorie de la justice (1971) puis La justice comme équité, (1985). Il entend porter à « un plus haut niveau d’abstraction la théorie bien connue du contrat social ». Il s’agit d’une convention imaginée par certains philosophes ( Locke, Rousseau, Kant…) constituant, pensent-ils, le fondement idéal des sociétés. Rawls cherche à identifier des dispositifs sociaux parfaitement justes, sous forme d’« institutions justes ». Il propose la recherche d’un idéal de justice, dans une société démocratique, ce qui peut paraître une utopie, une recherche transcendantale d’une justice parfaite s’imposant à la société. Le philosophe estime nécessaire de procurer une base philosophique et morale, acceptable, aux  institutions démocratiques. Il faut donc « aborder la question de savoir comment les revendications de liberté et d’égalité doivent être comprises », à partir de la culture publique, dans la société considérée, afin de produire une conception de la justice politique et sociale.

Il serait alors possible de définir les institutions incarnant des principes impartialement choisis qui constitueraient une structure de base, objet premier de la justice politique. Elle est le contexte au sein duquel prennent place les activités des individus et des associations et qui garantit la justice de ce contexte social.

Pour atteindre cet objectif, Rawls définit les deux principes auxquels les structures de base devraient obéir :

1 -  Chaque personne a une même prétention indéfectible à un système pleinement adéquat de libertés de base égales qui soient compatibles avec le même système de liberté pour tous.

2 -  Les inégalités économiques et sociales doivent remplir deux conditions : elles doivent d’abord être rattachées à des fonctions et des positions ouvertes à tous dans des conditions d’égalité équitable des chances. Ensuite, elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus défavorisés de la société (principe de différence).

Il convient de préciser que le premier principe a priorité sur le second, à savoir que d’abord tous les membres de la société jouissent de toutes les libertés reconnues dans l’état de droit libéral. Au sein du second principe, l’égalité équitable des chances d’accéder à des fonctions administratives ou politiques, a priorité sur le principe de différence, mais ce dernier l’emporte alors sur toute considération d’efficacité ou de bien-être. L’idée de déterminer l’égalité équitable des chances est introduite pour corriger les défauts de l’égalité formelle des chances. Les carrières doivent être ouvertes aux talents quel que soit le statut social des intéressés.

Six idées  fondamentales sont retenues par Rawls pour organiser la structure de base  selon les principes retenus : une société conçue comme un système équitable de coopération sociale ; l’idée d’une société bien ordonnée dans laquelle tout le monde accepte les mêmes principes de justice  ; l’idée d’une structure  de base d’une société;  l’idée d’une position originelle ;  l’idée de citoyens considérés comme des personnes libres et égales , rationnelles et raisonnables. Il faut y ajouter l’idée de la justification publique  de cet ensemble au moyen d’un débat ouvert  qui puisse aboutir à un accord équitable, équilibré, passé entre ceux qui y participent. Pour établir l’égalité équitable entre eux, ils doivent bénéficier des mêmes informations et adopter la même impartialité.

Aussi, Rawls imagine qu’ils doivent débattre dans « la position originelle », « sous un voile d’ignorance » : dans cette position, les partenaires ne doivent pas faire état de  leur statut social, de leurs appartenances politiques, religieuses, de leur foi, de leurs convictions, de leurs avantages intellectuels, voire les ignorer, pour demeurer parfaitement impartiaux, ouverts à une discussion fondée sur la raison. L’accord, alors, pourrait être reconnu  publiquement, dans le cadre d’une société démocratique, caractérisée par un pluralisme raisonnable, évitant les positions extrémistes.

Les deux voies

L a Théorie de Rawls a fait l’objet de quelques critiques fortes, mais elle a connu une grande influence sur la pensée contemporaine. Cependant, un autre universitaire Américain, Armatya Sen, tout en reconnaissant le grand intérêt de son travail, s’en distingue nettement. Il observe qu’il relève de « l’institutionnalisme transcendantal », apparu au XVIII ème siècle, qui est la quête d’institutions sociales parfaitement justes, destinées à remplacer celles qui existent et qui ne correspondent pas à des principes parfaits de justice. C’est la voie utopique, qui, selon Sen, ne se préoccupe pas directement des sociétés réelles, de leurs institutions, ni du comportement effectif de leurs membres, pas plus que des interactions sociales. « Son seul objectif, dit-il, est d’identifier des mécanismes sociaux qui ne peuvent être dépassés en termes de justice » . Cette démarche vers l’absolu ne permet pas la comparaison de situations diverses qui se présentent dans la réalité de la vie des peuples.

 Pour Sen, seule la voie « comparative », en somme réformiste, permettrait donc de corriger, d’améliorer les institutions existantes. Il l’adopte dans son analyse du concept de justice et définit les exigences qu’impose sa réalisation concrète.

Si le besoin de justice est précédé, souvent, s’un sentiment intuitif d’injustice, toute théorie de la justice exige de la rigueur pour conduire à son terme la réflexion sur un sujet aussi difficile. Il faut pour cela utiliser la raison. Les penseurs de la justice y ont recours, remarquons-le, quelle que soit la voie choisie, afin de déterminer les bases intellectuelles « permettant de passer du sentiment général d’injustice au diagnostic raisonné de telle ou  telle injustice particulière puis à une réflexion sur les moyens de faire progresser la justice ». Ce recours aux arguments raisonnés permet l’examen efficace de nos approximations,  de nos erreurs, des préjugés, des dogmes qui pourraient s’opposer à tout progrès. C’est aussi utile  pour mesurer les conséquences possibles des choix retenus. Cette élucidation des difficultés est nécessaire dans la recherche d’un consensus sur les réformes envisagées. Le débat public, normal dans une démocratie, est la procédure obligée pour améliorer les institutions sociales existantes. 

Sen s’appuie aussi sur la théorie du droit social, « soucieuse d’évaluer le fondement rationnel des jugements sociaux et des décisions publiques qui doivent trancher entre différentes options » et qui autorisent un classement des évaluations diverses, d’un point de vue social, faites par les personnes concernées. C'est très différent de la recherche utopique d’une justice parfaite.

Cette approche, selon Sen, présente de nombreux avantages : elle se concentre sur le comparatif, non sur l’option transcendantale, reconnaît le pluralisme des choix sociaux, facilite le réexamen permanent, si nécessaire. Elle admet des solutions partielles, donc des étapes dans le progrès, demande la précision dans l’expression et le raisonnement. Ainsi, dans le choix social, le raisonnement public connaît un grand rôle.

Dans ce débat, les personnes impliquées doivent faire preuve d’impartialité, de désintéressement et d’objectivité, pour rendre l’affrontement raisonné acceptable par tous. Mais Sen ne retient pas, pour y parvenir, la position originelle de Rawls. Il adopte  celle d’Adam Smith, l’initiateur du libéralisme, dans les dernières années du XVIII ème siècle, celle du « spectateur impartial », ouvert à toutes les options qui lui  sont extérieures permettant l’examen des intérêts de chacun, l’influence des traditions et des coutumes même venant de sociétés étrangères  car l’information plurielle est enrichissante.

Un franc-maçon engagé: Léon Bourgeois (1851-1925)

Dans un essai, publié en 1896, Léon Bourgeois, avocat, homme politique et maçon important, présente une théorie de la justice, le solidarisme. Cette pensée repose sur la science et la morale.

Les sciences naturelles de son temps démontrent que l’homme, être vivant dépend de son milieu de vie. Il lui donne ce qui lui permet de survivre, dans les temps les plus reculés.  Il fait partie des espèces vivantes qui subissent la loi de l’évolution. La biologie, de son côté, qui étudie les êtres vivants, leur nature physique, montre que le corps humain est un organisme complexe. Les divers organes qui le composent n’ont pas de vie indépendante les uns des autres, mais combinent leurs fonctions pour maintenir l’organisme en vie et permettre son développement. Dans ces aspects, la nature parte seule. Ainsi, dans ces deux cas, il s’exprime une solidarité de fait  qui se complexifie avec le temps.

Léon Bourgeois en déduit un certain nombre de conséquences. « les effets de la solidarité naturelle, écrit-il, ne se manifestent pas seulement entre les diverses parties de l’être vivant, ils se manifestent aussi entre les êtres de la même espèce et, dès lors, se vérifient également dans les phénomènes de la vie sociale ». Les sciences humaines en rendent compte. Bourgeois fait appel à l’histoire, à la psychologie, à la sociologie  pour asseoir son affirmation. Les individus  ne sont pas « juxtaposés comme des pierres dans un tas de pierres ». Entre eux s’établissent des rapports conflictuels, mais pas toujours. Chaque individu peut se développer d’abord dans son milieu familial, dont il dépends de façon étroite puis ensuite dans l’espace social offert par la collectivité qui constitue un milieu plus large, plus riche. Il va bénéficier de toutes les structures mises en place par cette collectivité.

Sa formation achevée, Il pourra participer, selon ses moyens, au développement de la société dont il est membre et continuer de bénéficier des avantages que lui procure la collectivité. L’homme est un être social solidaire donc du tout dont il est un élément. Chacun est donc « un associé », estime Bourgeois, dans cet ensemble qui bénéficie à tous et qui progresse en même temps que lui-même. La diversité des individus, de leurs capacités, de leur fonctions, la division du travail, nécessite, une coopération, une coordination de leurs activités dont chacun est, tout à la fois, bénéficiaire et acteur. C’est pourquoi, dans la théorie du solidarisme, on peut parler de solidarité naturelle. En conséquence, si chaque associé bénéficie d’avantages, il doit également participer aux charges qui leur sont liées. C’est, un devoir, l’obligation d’honorer ce que Bourgeois appelle une dette envers l’association que constitue la collectivité, dette également à l’égard des génération passée dont nous sommes les héritiers, qui devient un engagement pour celle qui suivra, à laquelle il convient de laisser un héritage positif. C’est  une question morale, deuxième pilier du solidarisme. A cela, il faudrait ajouter la justice à l’égard des plus défavorisés, fondée et enrichie par la solidarité naturelle.   

La législation positive, pense bourgeois, devient l’expression pratique de l’acceptation libre, car fondée sur la raison et la morale, « d’une contrainte et sans doute du sacrifice d’une partie de ses avantages  par les bénéficiaires les mieux pourvus ». Ce choix paraît juste sans  devenir un égalitarisme niveleur des revenus.

Réflexions

1 – La notion de justice n’a de sens que dans un régime libéral  et démocratique.

2 – Le problème fondamental, de la justice sociale, me semble-t-il, est celui de l’opposition entre la liberté et l’égalité qui pose la question de leur rapport. Il faut éviter les choix extrémistes, la liberté comme absolu, d’une part et l’égalité comprise comme égalitarisme, d’autre part : deux illusions inacceptables par les sociétés et porteuses de troubles.

Les théoriciens de la justice, nous l’avons vu, cherchent à concilier les deux termes et se rallient à l’idée d’une liberté raisonnable mais prioritaire et  une égalité   équitable ce  qui pourrait conduire à un consensus majoritaire, pensent-ils. Mais les solutions pratiques sont d’une réalisation très difficile car elles font l’objet  de fortes réticences voire de refus catégoriques justifiés par l’idéologie de la pensée dominante néolibérale (règne des marchés et de la finance, libre échange, concurrence, individualisme, …), par l’efficacité économique avec de freins apportés à la liberté d’entreprendre, avec le coût de programme sociaux qui nuisent à la compétitivité, enfin les opposants à toute redistribution soutiennent que le seul moteur de ceux qui travaillent est l’intérêt égoïste et que l’aide, toujours trop généreuse aux chômeurs, en fait des assistés voire des profiteurs.

3 -- Comment donc dépasser le conflit pour apporter une solution à la question de la justice sociale ?  Ni la science, ni la nature ne donnent de réponse sur l’équilibre  à trouver. Pratiquement, trop souvent sans doute, les négociations entre partenaires sociaux s’appuient sur un rapport de forces qui peut varier au cours du temps, sans apporter une solution pérenne. Les théoriciens de cette justice, en dépit de leurs approches différentes, pensent donc que les partenaires doivent élaborer, par le recours à la raison, dans une démarche humaniste, et à une argumentation s’appuyant sur une large information, dans le cadre d’un débat public dont ils fixent les conditions, les éléments d’un consensus équitable et qui serait donc légitime. Les partenaires doivent être des personnes libres, égales entre elles, raisonnables et impartiales. Reconnaissons que ce n’est pas facile !

Conclusion

La justice est une nécessité car elle représente un progrès social, elle permet d’assurer la stabilité, l’harmonie et la pérennité des sociétés démocratiques. Elle facilite l’intégration du plus grand nombre des membres de la collectivité humaine donc d’établir la paix sociale entre tous, aucune personne ne se sentant exclue de la communauté. Elle s’appuie, en définitive, sur une conception humaniste et laïque de l’homme et de la société. Néanmoins, la difficulté d’en déterminer les aspects pratiques conduit peut-être à rester pragmatique dans leur appréciation, mais surtout à ne pas renoncer à progresser dans ce domaine.

  Jean MOLERES

Bibliographie

John Rawls, La justice comme équité. La Découverte n° 281, Octobre 2012

Amartya Sen, L'idée de justice. Champs essais 1029, Février 2012

justice , Editions Autrement, collection "Nos valeurs" , 2009

Denis Demko, Léon Bourgeois, philosophe de la solidarité,  Edimaf, 2001

 RÉFLEXION À PROPOS DE LA JUSTICE SOCIALE

La crise actuelle n’est-elle pas essentiellement une crise de la justice sociale, c’est–à-dire une crise de la solidarité humaine ? L’objectif premier du néolibéralisme n’est-il pas de permettre aux détenteurs du capital, requalifiés investisseurs, de faire fructifier leur bien en toute indépendance, sans souci aucun des conséquences qu’engendrent les déplacements de capitaux à la recherche du profit maximum. La perte de pouvoir de l’autorité politique sur l’économie, qui s’ensuit, entraine la ruine des mécanismes de solidarité nationale.

Entre libéralisme et égalitarisme, existe-t-il une autre voie ? 

Au niveau des relations humaines, tout le monde comprend que chacun des termes, liberté et égalité, ne peut aucunement devenir un absolu. La liberté a des limites, notamment les libertés des autres, et l’égalité est d’évidence contraire à la nature. Mais au plan économique, on a vu l’histoire récente conduire d’une utopie dans l’autre : du communisme égalitariste à l’ultralibéralisme hyper-inégalitaire. Comment concilier la liberté d’entreprendre avec le primat de l’intérêt général ? Une telle voie moyenne ne peut être imposée que par une autorité politique ayant repris le pouvoir d’imposer des règles aux acteurs économiques.

La question de la solidarité peut être vue de deux façons. La solidarité humaine est un fait à constater, en ce sens qu’aucun être humain n’a la possibilité de survivre seul sans le bénéfice, plus ou moins important, des biens produits par la société dans laquelle il vit, sa famille, sa tribu, son pays… Mais un individu assez fort et assez égoïste peut se servir de cette solidarité à son seul profit et s’acharner à exploiter ses semblables. C’est pourquoi la solidarité a aussi un sens moral, qui voudrait que chaque individu ait conscience d’une communauté d’intérêts avec tous les membres du groupe auquel il appartient, et de l’obligation de ne pas desservir les autres, ainsi que de leur porter assistance au besoin. Bien sûr, cette conception morale de la solidarité implique une prise de conscience du groupe dont on doit se sentir solidaire. Ce peut être une communauté. On a pu considérer que la solidarité s’organisait dans deux types de communautés vouées à se combattre : celle des nantis et celle des misérables, ce qui conduit à la lutte des classes. D’autres conceptions mettent en avant les communautés religieuses, ethnico-religieuses, voire des micro-communautés comparables à des tribus, ou même des communautés virtuelles d’intérêts, constituées à partir des contacts établis sur les réseaux sociaux de l’internet. Or on pourrait penser qu’une solidarité effective devrait d’abord s’exercer dans le cadre de la vie matérielle, sociale et citoyenne qu’est la nation, et ensuite entre les nations au niveau de l’humanité.

Claude J. DELBOS 

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