Humanisme et Médecine

 
L’affaire du médiator ou des prothèses PIP, celle plus ancienne du sang contaminé ont jeté, ces dernières années, un voile, autant noir qu’il était médiatique sur l’univers de la médecine ; univers sur lequel on posait jusqu’alors un regard empreint du respect que les patients doivent à ceux qui savent. A tel point qu’une réelle défiance existe aujourd’hui vis-à-vis du pouvoir médical et, au-delà des médecins, de l’ensemble du corps des professionnels de santé. Les assignations en justice se multiplient et leur parole est remise en cause. Comment en est-on arrivé là et que faudrait-il faire pour inverser cette tendance et rendre aux soignants ce pouvoir qui est un des éléments de la réussite d’une thérapie ? C’est par l’évaluation des pratiques professionnelles et par la démonstration que leurs actes sont de qualité et ne présentent pas de dangers pour ceux qui les reçoivent que les praticiens pourront retrouver, auprès du public, l’aura qui fut longtemps la leur. Enfin, le renforcement de la place de la question éthique dans la formation de futurs professionnels de santé participera à cet indispensable retour de la pensée humaniste en médecine.
Le rapport à la maladie et à l’entretien du corps ont beaucoup évolué au cours de l’histoire de l’humanité. La prise en charge de sa santé a toujours été soumise au contexte social et culturel des époques traversées.
En Grèce, les malades se rendaient dans les temples d'Asclépios où ils y rencontraient les prêtres, les Asclépiades. Dans les écoles de philosophie, l'art de guérir faisait partie de l'éducation générale. C’est ainsi que lorsque l'école de Pythagore fut détruite certains de ses disciples dispensèrent la médecine au domicile de leurs patients contrairement aux asclépiades qui donnaient leurs consultations dans les temples. C’est un grec, Hippocrate (460 av. J.-C. à Cos et mort vers 370 av. J.-C. à Larissa) qui est considéré comme le père de la médecine moderne. Il a réuni les connaissances éparses de son époque et y a ajouté celles qu'il avait tirées de ses propres observations. Il est considéré comme le premier médecin à avoir rejeté les superstitions et les croyances qui attribuaient la cause des maladies à des forces surnaturelles ou divines. Selon lui, le corps était composé des quatre éléments fondamentaux, l’air, le feu, l’eau et la terre - la matière antique- possédant quatre qualités : chaud ou froid, sec ou humide. De ces éléments, diversement combinés dans les individus, dérivaient les quatre humeurs : le sang, la pituite, la bile et l'atrabile puis les quatre tempéraments. La maladie, d'après lui, consistait en une perturbation de la condition des fluides. Il était donc possible, en agissant sur ces éléments de leur rendre l’équilibre perturbé par la maladie.
Pendant ce temps, à Rome, les premiers médecins étaient d'origine grecque. Pline, dans son Histoire Naturelle, rapporte que les Romains vécurent six siècles sans médecins ; mais non sans médecine, si l'on se reporte à certains pratiques et recettes ésotériques affectionnées par Caton l’ancien.
La médecine se développa à Rome sous l’influence de César qui décréta que tous les médecins jouiraient du droit de cité. Pendant des siècles, les Grecs ont été les seuls à représenter la médecine en Italie, on n'eût longtemps confiance qu'en eux ; les Romains qui voulurent faire de la médecine furent donc obligés de se faire passer pour des Grecs et donc, de parler grec. En France au XVII e siècle, les médecins parlent le latin que les simples ne comprennent pas et considèrent comme la langue des savants à laquelle ils attribuent des vertus particulières. Ce qui fit écrire à Molière les plus beaux vers sur les médecins qu’il moqua tant et plus.
Aulus Cornelius Celsus, (mort en 50) fut le premier auteur à écrire sur la médecine. Son livre De Medicina est un exposé de tout ce que les Anciens savaient sur la matière, et il montre les grands progrès qu'avait faits la médecine, grâce aux travaux des anatomistes d'Alexandrie. Il y aborde la plupart des grandes opérations chirurgicales, des opérations de la hernie, des blessures intestinales, de la cataracte, etc. ; il évoque l’utilisation du cathéter, parle du trépan pour les lésions du cerveau et de l'usage des ligatures pour les vaisseaux sanguins coupés ou déchirés, les varices et les hémorroïdes. Claude Galien (Né à Pergame en Asie vers 129, et mort en 216) est, après Hippocrate, le médecin qui a eu la plus grande renommée. Il adopta la théorie hippocratique des quatre éléments, des humeurs et des qualités. Il la développa, la raffina et en fit la base de ses doctrines.
Il n’empêche que les médecins, qu’ils soient grecs ou romains, pratiquaient parfois des rituels religieux pour obtenir la guérison, car ils croyaient à l’origine surnaturelle de certaines maladies dont ils ne maîtrisaient pas les causes.
Dogmes religieux, Lumières et santé
Le Moyen-Age voit une éclipse des activités culturelles, artistiques et des pratiques du corps. L’emprise religieuse est très forte, le corps est tenu en mépris, les moines privilégient les prières. Jusqu’à la Renaissance la maladie était une punition infligée par Dieu pour punir le pêcheur. La gravité de la maladie était proportionnelle à la hauteur de la faute, la mort étant ainsi la punition suprême.
Cet état d’esprit est bien évidemment hérité de la tradition chrétienne de la Bible et de la nécessité de souffrir pour laver l’affront fait par Adam et Eve lorsqu’ils ont, ensemble croqué la pomme. Dieu a dit à Eve : "Tu enfanteras dans la douleur. "Chamfort ne demandait-il pas à Dieu de le préserver des douleurs physiques, et qu’il s’arrangerait avec les douleurs morales. Voltaire lui-même ne disait-il pas que «la douleur est aussi nécessaire que la mort ». Et pourtant, Voltaire est un de ceux par qui les lumières sont, un jour, éclairé le monde ? Voltaire donc selon qui : « Les médecins administrent des médicaments dont ils savent très peu, à des malades dont ils savent moins, pour guérir des maladies dont ils ne savent rien » et pour qui donc « L'art de la médecine consiste à distraire le malade pendant que la nature le guérit. » On estime alors, comme Voltaire que «la douleur est aussi nécessaire que la mort ».
Ainsi, les médecins n’avaient-ils aucun pouvoir si ce n’est celui de soulager, partiellement les douleurs de leurs patients. « Je l’ai ‘pansé’ Dieu l’a guérit disait Ambroise Paré, le père de la chirurgie moderne. Dans son livre intitulé "La méthode curative des playes et fractures de la teste humaine" publié le 28 février 1561 (Paris par Jehan Le Royer), Ambroise Paré raconte comment il a pris en chargé le roi Henri II grièvement blessé au visage par la lance de son adversaire lors d’un tournoi. Ambroise Paré, chirurgien ordinaire de Henri II et Vésale, médecin de Philippe II sont intervenus après que la blessure du roi a été lavée au blanc d'oeuf par des médecins qui lui avaient administré « une potion faite de rhubarbe et de camomille. »
Jean Chapelain, premier médecin du roi raconte comment, alors qu’ils ne savaient pas trop comment enlever l'éclat de bois sans trop de dommages, les médecins et chirurgiens royaux s'exercent sur des têtes de quatre condamnés à mort décapités plus tôt que prévu, qui se voient infliger une blessure de même nature que celle du roi pour guider les chirurgiens dans la voie du traitement.
Les Lumières ont donc apporté un éclairage nouveau sur la maladie. Ce que confirma Friedrich Nietzsche pour qui « la science moderne a pour but aussi peu de douleur que possible. »
Les abus du pouvoir médical
Ce n’est pas pour autant que « l’humanisme médical » a toute de suite prévalu. Si, lorsque l’on s’aperçut que les maladies étaient provoquées par des microbes et que les seuls médecins étaient capables d’en venir à bout, le pouvoir médical en a été renforcé, certains en ont abusé.
Axel Kahn nous rappelle dans un article publié dans la Presse médicale et présenté lors de la séance solennelle de l’Académie nationale de chirurgie en janvier 2005 que dans Madame Bovary, Flaubert raconte comment pour doper la carrière de son mari qui est médecin, son épouse, Emma, le pousse à tenter sur le valet d’écurie de l’auberge, qui a un pied bot dont il s’accommode parfaitement une opération qui vient d’être décrite et destinée à redresser son pied. Cédant à la pression le docteur Bovary procède à l‘opération, mais ses suites sont mauvaises, la gangrène se développe et il faut amputer. Alors que le valet est sur lit de souffrances suite à l’opération ratée de Bovary, un prêtre « commença par le plaindre de son mal, tout en déclarant qu’il fallait s’en réjouir, puisque c’était la volonté du Seigneur, et profiter vite de l’occasion pour se réconcilier avec le ciel » raconte Flaubert. Bien que l’on soit au XIXe siècle, et que les Lumières soient passées par là, la croyance selon laquelle la maladie est une punition divine persiste. Flaubert s’est inspiré du Traité pratique du pied bot, de Vincent Duval (Baillère, 1839). Duval y raconte comme le docteur Flaubert, père de Gustave, reçut en consultation à l’Hôtel Dieu de Rouen une jeune femme de 21 ans qui souffrait notamment d’une difformité du pied gauche. Flaubert a tout simplement choisi une opération à la mode, relativement facile à réaliser, qui échoue, et que son père n’avait jamais voulu tenter. »
Aujourd’hui, un tel acte aurait très certainement conduit son auteur devant les tribunaux tant la place du corps médical, mais aussi des autres professions de santé, est, au niveau social quelque peu modifiée depuis ces dernières années.
Ce même Axel Kahn nous rappelle que Pasteur « avant d’avoir l’occasion de confirmer sur des personnes mordues par des chiens enragés la validité de ses hypothèses et l’efficacité de son protocole expérimental, Pasteur avait envisagé, dans une lettre adressée à Pedro II, empereur du Brésil, des expériences sur les condamnés à mort : « Si j’étais roi ou empereur, ou même président de la République, voici comment j’exercerais le droit de grâce sur les condamnés à mort. J’offrirais à l’avocat du condamné, la veille de l’exécution de ce dernier, de choisir entre une mort imminente et une expérience qui consisterait dans des inoculations préventives de la rage pour amener la constitution du sujet à être réfractaire à la rage... »
Pour Pasteur écrit Axel Kahn, « le fait que ces sujets d’expérience qu’il envisageait d’utiliser fussent déjà à moitié hors du champ des vivants rendait à ses yeux tolérable une entreprise passionnante sur le plan scientifique et dont il espérait des conséquences heureuses pour des quantités de malades sinon promis à une mort atroce. »
Du serment d’Hippocrate au serment médical
Depuis, les choses ont considérablement évolué. C’est ainsi que depuis longtemps, les médecins ne prêtent plus le serment d’Hippocrate mais le « serment médical », qui met en
avant un caractère plus social et humaniste qu’un intérêt pour les soins. Est-ce pour autant suffisant ?
La question est régulièrement posée. C’est ainsi qu’en 2003, le ministre de la Santé avait constitué une commission afin de réfléchir sur la question « éthique et Professions de Santé. » Une commission qui a conclu que « parler d'éthique dans l'univers du soin n'est rien d'autre qu'en venir au coeur même de l’acte soignant. » Il faut a indiqué cette commission que « des temps de réflexion collective doivent être ménagés au sein de chaque service autour de cas concrets auxquels doivent participer médecins, étudiants et personnel soignant. »
L’Académie nationale de médecine a alors considéré que « dès lors que la situation particulière d'une personne malade poserait un difficile « questionnement éthique » tel que le bien fondé d'un traitement, le choix entre diverses attitudes thérapeutiques, l’équipe toute entière devrait contribuer à la réflexion et aider le médecin en charge directe du malade dans sa décision qui peut être « humainement » difficile. Elle ajoute que « la prise en compte de la dignité du malade comme une personne humaine, devrait s'imposer parmi les critères objectifs de « qualité » du service ou de l'unité de soins
C’est ainsi que selon l’Académie de médecine, « parler d’éthique dans l’univers du soin n’est donc rien d’autre qu’en venir au coeur même de l’acte soignant », en effet, « la personne malade attend du médecin une écoute patiente et attentive, la proximité dans le dialogue intime de personne à personne, la compréhension de son mal, le choix de la décision la meilleure pour elle à laquelle elle va consentir parce que elle a confiance, parce que ses désirs et ses choix ont été entendus et compris par celui qui n’est pas un fournisseur comme un autre mais qui est médecin. »
« C’est donc bien d’humanisme qu’il s’agit, au-delà des mots employés pour le dire qui récusent la morale, parlent de civisme, de charisme ou de droit, ou plus globalement d’Ethique, semblant oublier que l’éthique est questionnement. L’Humanisme, relation à l’autre et respect de l‘autre est une attitude, une conviction, un comportement, une réponse à ce questionnement » nous dit l’institution.
Quelques pistes de réflexion
Il convient aujourd’hui, à mon sens de revenir à quelques fondamentaux.
Pour soigner, pas besoin d’écrire, il faut développer le pouvoir de communiquer entre une personne et une autre. Il faut développer le pouvoir de toucher l’autre, au sens initial qui signifie atteindre quelqu’un dan sa sensibilité.
Et cette communication entre un professionnel de santé et son patient doit se faire dans le cadre des droits de l’homme et des libertés individuelles.
Le principe de consentement éclairé du patient doit être érigé en règle absolue en sachant que l’autonomie de la volonté ne peut exister sans le consentement…
Les éléments de preuve ne sont pas le signe d’une bonne communication.
Une asymétrie des positions entre le patient et le soignant existe bel et bien : le patient se trouve face à un sachant… Il faut redonner la parole aux patients, chaque fois que cela est possible. Pourquoi pas dans les Réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP) auxquelles, actuellement, les patients ne sont pas conviés.
Se pose en effet la question de savoir comment décider de l’avenir de quiconque sans lui donner tous les éléments d’information… L’information doit être considérée comme un principe actif.
Cela passe aussi par une refonte de la formation initiale des professionnels de santé Au cours de la première année commune aux études de santé, la Paces, force est de constater que la formation en sciences sociales et humaines est insuffisante. Le médecin passe un tiers de son temps dans la relation avec le patient. Or, seulement une trentaine d’heures de formation y sont consacrées pendant les 6 premières années de formation.
En faculté de médecine on apprend ni l’empathie ni le travail en équipe aux futurs médecins ; on leur apprend la compétition…
Pourtant, une évidence apparait : communiquer avec le patient est rentable ; si on perd du temps à court terme, on en gagne à long terme…
Une refonte intégration d’une formation en sciences humaines et sociales en Paces semble aujourd’hui déterminante pour redonner aux professionnels de santé un pouvoir légitime.
Le contrat de confiance est rompu. Il existe un imaginaire, des représentations selon lesquelles l’on a lorsque l’on arrive à l’hôpital on ne maîtrise plus rien et on se trouve happé par une machine qui nous dépasse. On abandonne son corps et on veut être guéri…
Une bonne communication peut aider certaines choses et améliorer le séjour du patient…
Aujourd’hui, le patient ne veut plus être plus passif ; l’émergence de la démocratie sanitaire se fait jour. Les associations se mobilisent et le patient se revendique comme un acteur du processus de soins… La communauté médicale doit s’organiser et s’adapter pour répondre au besoin d’information du patient... Il convient donc de créer des outils d’information des patients et pas seulement les marronniers que publient régulièrement les magazines. Pourquoi pas rendre publiques et lisibles les données du le Programme de médicalisation des systèmes d’information, (PMSI)qui permet aux établissements de soins de disposer d’informations quantifiées et standardisées sur leur activité de manière à mesurer leur production médicale.
Franck Gougeon
 

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