Le travail web 3.0

La notion de web 3.0 est encore toute récente, même si les chercheurs en informatique en parlent depuis bientôt 10 ans. Cette terminologie « web x.0 » permet d’illustrer les évolutions d’Internet, cet outil qui avait été créé dans les années 1990 sous sa version web 1.0. A sa création, il diffusait l’information de manière descendante (sites statiques). Quand la version web 2.0 est arrivée dans les années 2000, Internet est devenu un objet social et communautaire (forums, blogs…), et son utilisateur y est devenu actif. Avec le web 3.0, nous sommes entrés dans l’ère des objets connectés, de la mobilité, centrée sur le besoin de l’utilisateur. De manière plus concrète, un individu peut interagir avec Internet, via des objets comme sa tablette, son smartphone, sa montre, ou encore sa voiture, connectés en permanence à l’outil qui est programmé pour le suivre dans l’espace et le temps et enregistrer ses mouvements et ses préférences. Et la révolution réside dans le fait qu’Internet est capable de comprendre ses comportements et ses demandes, et de lui proposer des services, solutions ou alternatives en fonction de l’analyse qu’il aura faite de l’environnement. Par exemple, si vous vous trouvez dans la rue et demandez oralement à votre smartphone de vous trouver un restaurant italien qui fait de la vente à emporter, il vous transmettra toutes les adresses qui se trouvent autour de vous. Et si vous continuez de marcher dans la rue, il s’adaptera et mettra à jour cette liste au fur et à mesure. Le web 3.0 est donc une version centrée sur l’individu et l’hyperréactivité à sa demande ou à ses besoins.

Je vous laisse imaginer ce que peut être le travail web 3.0 dont je vais parler plus en détails dans le propos qui suit.

Avant de poursuivre avec les quelques éléments que j’ai cherchés à gauche et à droite, permettez-moi de rapporter en guise d’introduction, le texte suivant, écrit par Diana Filippova, une éditorialiste d’une trentaine d’années – d’après mes calculs, et paru sur le site de La Tribune :

« Lettre ouverte aux élus, dirigeants, syndicats, philosophes, économistes et tous les autres. Par Diana Filippova, Connector OuiShare.

 

Voici venu le temps des contradictions. Entre les discours sur le travail que vous - élus, dirigeants, syndicats, prétendants au pouvoir - proférez et les preuves objectives, un gouffre s'est creusé. Les tâches les plus variées nous échappent chaque jour au profit des machines, et pourtant vous érigez encore l'emploi en garant de tous nos droits - santé, vieillesse, citoyenneté - et de notre bonheur.

Vous affirmez que le travail est la voie de conquête de notre liberté et de notre indépendance. Nous constatons que les conditions du travail s'améliorent uniquement pour une mince couche de super héros.

Vous expliquez que notre graal est le CDI garanti à vie, adossé à un salaire décent et à un prêt immobilier. Nous cherchons en vain autour de nous les quelques survivants de ce paradis perdu du siècle dernier.

Vous dites que le travail est la clef de notre épanouissement et du vivre-ensemble. Nous ne parvenons pas à trouver le moindre signe de bonheur dans l'enchaînement des tâches répétitives, la pression hiérarchique et l'insécurité psychologique latente.

Vous dégainez la méritocratie et le niveau de diplôme pour justifier des inégalités sur le marché du travail. Nous nous efforçons à trouver une corrélation dans nos vies et celles des autres : sans succès.

Laissez-moi vous le dire crûment : vous ressemblez de plus en plus à des professeurs de morale, qui espèrent cacher la vacuité de leur pensée par l'invocation quotidienne des grands principes de l'humanisme. Aux citoyens, aux employés, au peuple, vous n'avez d'autre vision à offrir que ce plus petit dénominateur que vous avez en commun : la valeur travail. » 

Tout est dit. Ou presque.

Je vous propose, dans le développement qui suit, d’aborder la question du travail en dressant le constat de la transformation du travail en France, puis les attentes des générations qui entrent dans la vie active, et enfin une réflexion plus large sur l’avenir du travail.

1-      L’ère de la robotisation

Au cours de nos études secondaires, on nous a promis, à tous, qu’obtenir un diplôme au-delà du Baccalauréat allait nous garantir un niveau de vie à la hauteur de l’investissement réalisé. On nous a par ailleurs beaucoup incités à devenir des cols blancs, en dénigrant de manière répétitive les emplois dits « manuels ». De ma fenêtre, ce que je vois et ce que j’entends, c’est que le travail des cadres, c’est-à-dire de diplômés à Bac + 4 minimum, s’est beaucoup appauvri : moins de postes disponibles, moins de postes visibles sur le marché de l’emploi, des tâches quotidiennes ne nécessitant pas un tel niveau d’études, de plus en plus de responsabilités. Un cadre aujourd’hui fait quotidiennement le travail de trois personnes et de son assistant : il doit prendre tous ses rendez-vous, organiser des réunions, s’occuper de la logistique de ses réunions (mise en place du matériel nécessaire, commande des plateaux repas, etc…), réserver ses déplacements, commander ses stocks de fournitures, tout ça lui-même, et pour trois postes en même temps plus celui d’un assistant. Et à ses tâches rébarbatives s’ajoutent le reporting chiffré de son activité, afin de justifier auprès de son employeur, de manière quantitative, du travail réalisé quotidiennement. Les trois outils du cadre sont : le téléphone, la boite mails, le pack Microsoft Office (Word, Excel, PowerPoint).

Il est vrai qu’avec les progrès technologiques on peut tout faire en un clic, depuis son poste de travail. Alors pourquoi payer un assistant pour effectuer toutes ces tâches à portée de main ? Comme le cadre s’ennuie toujours plus, et le manifeste, on lui propose de prendre en plus de son poste, celui de son voisin, ce qui économise au passage un salarié ETP (Equivalent Temps Plein) dans le bilan des effectifs et fait économiser quelques dizaines de milliers d’euros pour un seul poste (imaginez le montant économisé sur l’ensemble d’une entreprise et de ses filiales !).

A titre d’exemple, dans mon entreprise actuelle, et plus précisément dans l’équipe à laquelle j’appartiens, il y avait précédemment deux cadres, deux employés, un assistant, et un directeur pour gérer l’équipe. Aujourd’hui, les deux postes d’employés n’existent plus, mais le champ d’intervention de l’équipe s’est élargi. On fait plus avec moins, et on se trouve pollué par un ensemble de petites tâches pour lesquelles on n’a aucune valeur ajoutée et sur lesquelles on peut perdre une journée entière sur une semaine de travail. Et le Directeur Général se demande pourquoi l’équipe n’avance pas ! Depuis quelques années, la tendance est de recruter un cadre plus qualifié pour faire le travail de plusieurs personnes, partant du principe que comme il a un meilleur niveau, il sera capable de faire plus. En parallèle, on met en place des outils technologiques qui permettent d’obtenir des informations précises sur l’activité des équipes, et d’y accéder en appuyant sur un simple bouton. Le cadre s’est transformé en machine à reporting.

En théorie donc, le calcul est juste et la décision justifiée. Sauf que les conséquences étaient plutôt inattendues : baisse de la motivation dans le meilleur des cas, maladies chroniques, absentéisme, accidents de travail, dépression (voire burn-out). La note est finalement très lourde en fin d’année, pour l’entreprise et pour le contribuable. Les médias, les universités, les écoles, les collectifs divers, les employeurs eux-mêmes, affichent indignés la constatation de cet échec, mais continuent cependant sur leur lancée du dégraissage des équipes et de la robotisation des tâches.

Je fais bien entendu un focus sur le travail des cadres, mais toutes les catégories socio-professionnelles sont touchées. Les évolutions technologiques ont permis de remplacer nombre d’ouvriers et continuent de supprimer des postes. La fatigue professionnelle et le ras-le-bol ne sont pas réservés aux cadres, bien au contraire. L’absentéisme et les maladies professionnelles touchent d’avance les OETAM (Ouvriers / Employés / Techniciens / Agent de Maitrise), mais la nouveauté est qu’ils touchent de plus en plus les cadres.

A tous ces jeunes à qui on a promis un niveau de vie supérieur à celui de leurs parents à condition qu’ils fassent des études supérieures, à qui on a promis l’épanouissement dans la réalisation professionnelle, à qui on a promis le respect de leur travail, à qui on a promis l’emploi, à tous ces jeunes qui se sont endettés pour croire à leur rêve de travail, que doit-on dire en 2016 ?

2-      Le travail vu par la génération Y et celles à venir

Qu’est-ce que la génération Y ?

Ce sont tous les jeunes nés entre 1978 et 1994 et qui ont donc entre 22 et 38 ans aujourd’hui. On les appelle aussi les enfants du millénaire (Echo Boomers, Millennials, les GenY ou les Yers). Je fais partie de cette génération, qui a vécu le début de l’Internet et s’est développée avec l’Internet. Nous avons suivi l’évolution des outils technologiques que nous nous sommes appropriés peut-être plus rapidement que la génération qui nous précède (génération X).

Notre génération a quelques particularités, régulièrement commentées dans la presse et qui sont au centre de l’attention managériale dans les entreprises :

-          Nous sommes connectés 24/24 ;

-          Nous sommes individualistes ;

-          Nous aspirons à l’équilibre vie privée / vie professionnelle ;

-          Nous sommes impatients ;

-          Nous avons un rapport différent à l’autorité.

Je ne suis pas certaine de me reconnaitre dans l’ensemble de ces caractéristiques, mais le constat est là : cette génération a une attitude très différente de la génération précédente. Il est normal de constater une telle différence entre deux générations qui se suivent : je pense que si on demande à ses grands-parents ce qu’ils pensent de ses parents, ils diront exactement la même chose !

Cependant, la génération Y semble avoir impulsé un nouveau mode de fonctionnement, dans la sphère professionnelle aussi bien que dans la sphère privée, auprès de la(des) génération(s) qui l’a(ont) précédée. Nous serions peut-être dans une société Y.

L’article « Génération Y…les empêcheurs de travailler en rond » écrit Guillemette Faure et paru dans le Monde.fr en 2013, relate très bien les anecdotes partagées par des cadres du secteur privé au sujet de leurs rapports à ce nouveau mode de fonctionnement ou de travail. Le salarié « Y » est en permanence à la limite de l’insubordination, qui en terme juridique peut être lourde de conséquence pour lui. Il peut être impertinent et incontrôlable. Il revendique le droit à l’erreur et se permet de refuser des missions si elles ne sont pas en adéquation avec ses valeurs ou le rythme de vie qu’il a choisi (il impose par exemple ses horaires de travail). Il soumet l’entreprise à sa manière de travailler. Cette attitude est difficile à gérer pour une entreprise pour deux raisons : d’abord à cause du conflit de générations et de l’incompréhension qu’il engendre, ensuite à cause de la question légale que peut parfois poser ce type de comportements (que le droit du travail ne prévoit pas, ou bien sanctionne !).

Et la génération qui suit, la génération Z, nous en prépare davantage encore ! La véritable génération digitale ou Web 3.0 arrive sur le marché du travail. Je ne la comprends pas moi-même !

Les conséquences sur le travail sont assez importantes. Tout ce que les générations précédentes ont construit en se battant par la voie syndicaliste n’intéresse plus les nouveaux salariés. Ils revendiquent bien sûr leurs droits, qu’ils veulent utiliser quand cela leur chante, et ils ne respectent plus leurs devoirs. Ils vont préférer une totale flexibilité du travail aux congés payés traditionnels : allumer leur ordinateur quand ils ont les pieds dans l’eau de la piscine de leur spa en Thaïlande, faire une conférence téléphonique avec plusieurs pays alors qu’ils sont sur la plage de Cayo Santa Maria à Cuba… Ils sont capables de répondre à leur téléphone professionnel à minuit et de terminer une présentation à 2h du matin, alors l’horaire réglementaire de 9h pour arriver au bureau ne leur convient pas. Ils utilisent le système D de manière virtuelle et pour tout : un problème sur un tableau Excel et en trois clics ils ont la réponse sur un tutoriel en ligne, une présentation sur les axes stratégiques de la Communication et ils demandent à leurs camarades de promotion celle qu’ils avaient rédigée quand ils étaient étudiants, une question managériale avec un membre de leur équipe et en trois coups de fil à leur réseau ils ont la solution.

Ils partagent tout, veulent une réponse à tout, dans l’instant, avec 100% de flexibilité et 0 contrainte, et c’est dans ce moule qu’ils fabriquent le travail de demain. Mais où en sommes-nous vraiment de l’évolution du travail ?

3-      Le paradoxe du travail Web 3.0

La réaction des lycéens et des étudiants face au projet de loi de la Ministre du Travail Myriam el Khomri est significative d’une génération inquiète, meurtrie par l’histoire du travail (que leurs parents et grands-parents ont vécue), comme s’ils avaient plus que jamais conscience du sens premier de ce mot, torture, et de ses conséquences majeures sur leur avenir.

Ils ne veulent plus rendre de compte à personne, mais sont cependant soumis aux lois des marchés : travail, immobilier, bancaire, etc. Ils savent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de tout faire pour conserver les droits acquis car même s’ils pouvaient eux-mêmes s’en passer, le système ne leur permettrait pas. CDI, CDD, intérim, 35h, forfait jour, forfait heure, arrêt de travail, RTT, congés payés… : toutes ces conventions n’ont plus aucun sens pour les nouvelles générations, mais régissent leur vie au quotidien. Ils rejettent le cadre donné par la loi, mais en ont besoin pour gagner de l’argent, emprunter, louer ou acheter une maison ou un appartement…

Alors quelles sont leurs alternatives ? le retour à une vie simple, naturelle, loin des nouvelles technologies ? Le travail indépendant (freelance) ? l’économie collaborative ?

A l’ère du Web 3.0 s’est formée une catégorie sociale qui, par rejet de sa vie professionnelle antérieure, a fait le choix de revenir à un métier tangible, manuel ou de plein air. Comme une sorte d’envie ou de besoin de toucher, de palper sa propre production. Des cadres supérieurs se reconvertissent dans l’élevage du porc, la boulangerie, la restauration, la production de fromage, l’ébénisterie, etc. On pourrait envisager de revaloriser ces filières auprès des jeunes.

Le travail indépendant se développe de plus en plus, et dans tous les métiers qu’ils soient intellectuels, de bureau ou manuels. Il existe des Directeurs des Ressources Humaines freelance qui travaillent pour plusieurs TPE / PME à la fois. Les entreprises choisissent de sortir des salariés de leurs effectifs pour les reprendre comme consultants indépendants. Des hommes à tout faire proposent leurs services pour tout un tas de tâches manuelles (bricolage, plomberie, électricité, …) à condition qu’elles ne soient pas trop techniques. Des plateformes web, comme jemepropose.com, se sont créées qui permettent de faire se rencontrer l’offre et la demande.

En parallèle, et pour répondre aux besoins des consommateurs, l’économie collaborative se développe. Ce système n’est pas récent mais évolue avec les outils de communication. Il favorise le collectif, la communauté et permet au consommateur d’être acteur de sa propre consommation et d’en tirer profit. On a vu des entreprises comme Blablacar et Airbnb prendre beaucoup d’importance ces dernières années car elles répondent aux critères des utilisateurs : réactivité, flexibilité, faible coût et/ou gains potentiels.

Une dérive de l’économie collaborative est peut-être l’économie de prédation qu’illustre la tendance à l’uberisation. A l’origine, la société Uber s’inscrivait dans l’économie collaborative : la mise à disposition d’une ressource, à prix réduit, avec la possibilité pour le consommateur de gagner de l’argent en parrainant de nouveaux consommateurs. L’extrême facilité et flexibilité avec lesquelles ces services se développent, faisant concurrence à des systèmes existants et contraints légalement (comme les taxis dans le cas d’Uber), tend à précariser le travail. Cette question échappe au gouvernement pour le moment, même si les violences opposant taxis et VTC l’ont mise sur la table.

C’est tout le paradoxe de la société actuelle, surfant sur les limites de l’acceptable.

Pour terminer :

L’emploi définit encore tous les aspects de notre vie sociale et de notre vie économique. Cependant, le plein emploi semble être une utopie. Que peut devenir le travail dans ce contexte économique ? Que faire pour donner espoir aux jeunes et futurs travailleurs ? Est-on en train d’inventer un nouveau modèle social ou doit-on en réinventer un ?

Alice R.

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