Laïcité et République

La laïcité est un sujet d'actualité, car des voix s'élèvent de divers côtés pour interpréter les lois de la République, voire les mettre en cause. Lors du colloque de la « Conférence des responsables des cultes en France », le 17 octobre 2011[1] , l'ensemble des représentants des Églises soutenaient que la loi de 1905 n'est pas censée « séparer les Églises de la société », que « l'espace public ne relève pas de l'État » et que les religions doivent avoir « le loisir de s'y exprimer ».

La laïcité a un point commun avec l'humanisme et la spiritualité : la morale ! La spiritualité en effet, c'est la recherche d'une morale émanant d'une transcendance ; l'humanisme, c'est la définition d'une morale centrée sur l'homme ; et la laïcité, c'est l'élaboration démocratique, hors de toute référence religieuse, d'une morale du comportement social. Toute personne soucieuse d'étude de la morale, s'intéressera donc au sens de ces trois termes.

Et il est important, en priorité, de réfléchir à la laïcité.

Ceci nous conduit à poser la question : comment faut-il comprendre la laïcité dans notre république ?

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Un peu d'histoire, pour commencer. C'est en 1871, avec le retour à la République, qu'apparut le terme de laïcité.

Le parti clérical voulait alors restaurer la monarchie, c'est-à-dire Dieu et le Roi. Les républicains allaient chercher un compromis acceptable par une majorité de Français, en faisant voter des lois conduisant à la laïcité.

La loi du 28 mars 1882 rendait l'enseignement primaire gratuit, obligatoire et laïque ; le catéchisme devant être enseigné le jeudi à l'extérieur des locaux scolaires.

La loi du 30 octobre 1886 laïcisait les enseignants, c'est-à-dire en excluait les religieux.

En 1904, Émile Combes, président du Conseil, faisait fermer les établissements d'enseignement des congrégations.

La loi de séparation des Églises et de l'État qu'il avait préparée, était promulguée le 9 décembre 1905. Devant le Sénat, où elle serait votée par une majorité des deux tiers des Sénateurs, Aristide Briand son rapporteur, qui avait été conseillé dans son travail par l'archevêque de Rouen, déclarait : « La loi que nous avons faite après cinquante séances [...] vous êtes obligés de reconnaître qu'elle est finalement, dans son ensemble, une loi libérale. » Cette loi marque l'achèvement de la conception républicaine française de l'État.

Le législateur de l'époque considérait que la religion n'est pas le fondement de la morale ; qu'au contraire, c'est la religion qui s'appuie sur la morale, pour en tirer sa légitimité. Une morale laïque pouvait donc devenir la valeur commune assurant le lien social.

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En même temps s'affirmait la République, conçue comme le mode de gouvernement des affaires publiques, dans lequel les pouvoirs sont assumés par des représentants élus au suffrage universel, pour une durée limitée. Ceci s'oppose à l'accaparement du pouvoir politique par une dynastie, ou par un groupe particulier ; le gouvernement républicain ayant pour rôle d'assurer l'administration de la chose publique dans l'intérêt de tous, et non pour la satisfaction d'une catégorie particulière de citoyens, quelle que soit la façon de les distinguer, y compris par la religion.

La République a pour vocation d'assurer les libertés fondamentales et le fonctionnement démocratique des institutions, au profit de tous les citoyens égaux en droits, dans le cadre de la laïcité des institutions politiques, de l'administration, et de la vie publique...

La laïcité est alors comprise comme l'expression politique des valeurs philosophiques de liberté de conscience et de tolérance.

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Comment caractériser la laïcité[2] ? On pourrait dire, en gros, qu'il s'agit d'éliminer le religieux de tout ce qui est du ressort de l'État et concerne les règles de la vie publique, dans une société où les citoyens sont libres de leurs convictions métaphysiques et de leur pratique religieuse dans leur vie privée ; la liberté de conscience étant garantie.

Le respect de la liberté de conscience, fondement de la laïcité, exclut tout dogmatisme en matière de conceptions métaphysiques.

La liberté de conscience laisse à chacun le droit de cultiver ses propres références métaphysiques et de pratiquer telle religion de son choix ou de n'en pratiquer aucune. Elle reconnaît la liberté de croire en Dieu et en l'immortalité de l'âme, aussi bien que le droit de nier l'existence de dieu et de prétendre que l'âme se détériore en même temps que le corps pour s'éteindre avec la mort...

Autrement dit, tout être humain a le droit d'être athée, ou agnostique, autant que d'avoir et de pratiquer une religion.

Le respect de la liberté de conscience laisse à chacun le choix de ses conceptions métaphysiques. Mais en contrepartie, il exclut l'intolérance. Il oblige chacun à reconnaître cette liberté aux autres, et par conséquent à ne jamais chercher à imposer ses propres convictions métaphysiques, ni les symboles qui les caractérisent.

Il faut noter que la laïcité ne peut être érigée en règle sociétale, qu'au terme d'une évolution des esprits. Elle doit être intégrée à l'éducation de la jeunesse, pour faire entrer dans les mœurs les valeurs pacificatrices de tolérance et de liberté de conscience.

Ce préalable de l'éducation est nécessaire, afin de parvenir à la conception d'une morale « civique », appliquée à la vie en société, tout en laissant à chacun la possibilité de vivre une morale « personnelle » dans sa vie privée et associative.

Un enseignement laïque doit donc être donné à tous les citoyens, en laissant aux familles la possibilité de le compléter, selon leur volonté, par une éducation religieuse de leur choix.

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Telle qu'elle est comprise en France, au moins par les républicains, la laïcité est donc une conception politique, fondée sur le principe philosophique de la liberté de conscience.

Mais pour aller un peu plus loin, je donnerai ici mon point de vue sur ses sept objectifs :

1- Séparer le pouvoir politique temporel de l'État, du pouvoir religieux spirituel des Religions.

2- Assurer à tous la liberté absolue de conscience, de pensée, d'expression, et tolérer toutes les religions ; mais...

3- N'obliger les citoyens à l'observation d'aucune religion particulière, et accepter qu'ils puissent ne pas en avoir et être athées, ou agnostiques.

4- Mettre la société et le gouvernement à l'abri des pressions de tout groupe, fut-il majoritaire, portant atteinte à cette liberté.

5- Confiner la pratique religieuse au domaine privé et associatif.

6- Assurer la paix de la société, en proscrivant et en réprimant, les manifestations de prosélytisme, susceptibles de nuire à l'unité et à la cohésion du corps social... Non pas toutes les manifestations ! Mais celles qui sont susceptibles de nuire.

7- Enfin : Former les futurs citoyens au respect du principe de laïcité, par un enseignement public, gratuit, obligatoire et laïque.

Avec la laïcité, il s'agit de l'élaboration hors de toute référence religieuse, par l'autorité politique démocratiquement élue, d'une morale humaniste du comportement social, traduite dans la loi.

Mais la morale est avant tout affaire privée. Or les religieux considèrent que la laïcité encourage à l'indifférence envers la religion, et que l'homme sans religion devient fatalement un homme immoral.

Car l'individu ne pourrait être porté à une vie morale que par la fonction supérieure de l'âme humaine, qu'est la spiritualité inspirée par la religion.

Au contraire le républicain attaché à la laïcité, considère qu'une vie morale fondée sur une spiritualité laïque, est possible pour le citoyen sans religion !

Nous pouvons qualifier de spiritualité laïque : Une pensée qui, sans se référer à aucune religion, étudie les problèmes posés par les questions métaphysiques en tenant compte de toutes les données établies par la science, pour se faire dans le domaine de la spiritualité une conception hypothétique personnelle, sans chercher à l'ériger en vérité universelle.

La qualification de spiritualité, est en effet déterminée par la nature des questions qui occupent la pensée, et non par les réponses qui leur sont données. Le caractère laïque des réponses, est ici traduit par le « jugement » d'une conscience libre, « indépendante de toute religion ». La morale qui en découle est alors une morale laïque, c'est-à-dire une sagesse, élaborée à partir d'une conception de la vie, fondée sur l'humanisme.

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En conclusion : La laïcité consistant à éliminer le religieux de la vie publique, tout en garantissant la liberté de conscience et la liberté de culte, dans les domaines privé et associatif, conduit logiquement à laisser au citoyen le choix de sa propre spiritualité, et même, le droit de ne pas en avoir, pourvu qu'il respecte le comportement humaniste prescrit par la loi.

Avec la laïcité, il s'agit bien de l'élaboration démocratique, hors de toute référence religieuse, d'une morale du comportement social fondée sur l'humanisme, appliquée dans tout l'espace public sous l'autorité de la loi.

C'est ainsi qu'elle doit être comprise en France, où la Constitution de la 5ème République proclame : « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. »

Claude J. DELBOS

 


[1] Rapporté par le journal « Le Monde » du 19 octobre 2011.

[2] Voir en particulier « Le Grand Robert » : laïcité.

 

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