Pour une spiritualité laïque !

       Les religieux considèrent que la laïcité encourage à l’indifférence envers les religions, et que l’homme sans religion devient fatalement un homme immoral. Car l’individu ne pourrait être porté à une vie morale que par la fonction supérieure de l’âme humaine qu’est la spiritualité, à laquelle il est conduit par sa religion. Dans ces conditions, une vie morale fondée sur une spiritualité sans religion, est-elle possible ?

À l’époque du grand retour des religions que nous connaissons en ce début de 21e siècle, au moment où les religieux tentent de reprendre leur influence sur les esprits et sur la politique, cette question pourrait paraître incongrue à beaucoup. Ils répondraient tout de suite : évidemment non ! Car pour eux la spiritualité ne peut-être que religieuse ; et pour les mêmes, la laïcité ne serait que le masque de l’athéisme ; deux choses qu’ils jugent évidemment inconciliables.

Nous allons essayer d’approfondir, et tout d’abord en cherchant à définir la spiritualité, ce qui nous obligera à réfléchir sur la nature de l’esprit. Nous devrons ensuite éclairer la notion de laïcité et de la spiritualité dans une société laïque, pour finalement discuter la possibilité d’une spiritualité sans religion.

            Pour commencer : Qu’est-ce que la spiritualité ? Prenons pour définition générale que la spiritualité est la vie ou l’activité de l’esprit. Il s’ensuit évidemment que la nature de la spiritualité découle de la nature de l’esprit. C’est donc par là que nous commencerons : Quelle est la nature de l’esprit ?

Le mot esprit désigne d’abord l’inspiration divine. Mais aussi le souffle vital, « le principe qui fait être » compris comme un principe immatériel ou une substance incorporelle. Par extension, tout être incorporel, supposé vivre en dehors du monde matériel, est qualifié d’esprit. Dieu lui-même serait pur esprit. L’esprit humain serait à la fois : le siège de la pensée et de la vie intellectuelle, mais aussi le lieu des influences “ surnaturelles ”.

Depuis qu’il pense, l’être humain s’est imaginé qu’une chose immatérielle, le siège de sa pensée, la partie supérieure de son âme, son esprit, pourrait peut-être échapper à la destruction, et poursuivre au-delà de la mort, son existence, ailleurs et autrement. L’esprit constituerait ainsi la véritable personne humaine. Il aurait sa vie propre et devrait préparer sa vie éternelle ; cela en gouvernant le corps dans le sens des volontés divines.

La spiritualité, qui qualifie la vie de l’esprit, aurait ainsi pour fonction, d’assurer la réalisation de l’Espérance d’une immortalité heureuse

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Depuis l’antiquité, les philosophes ont exercé leur raisonnement sur ce problème, de la nature de l’âme ou de l’esprit et de la survie de l’esprit après la mort. 

- Pour Platon l’individu n’est qu’une âme, provisoirement installée dans le corps d’un être, conçu comme un microcosme, un modèle réduit de l’univers ; l’univers lui-même étant doté d’une âme et d’un corps. Le démiurge, au commencement, aurait distribué les âmes dans les astres, et leur aurait édicté les lois de la destinée. Ces âmes seraient appelées à une existence cyclique alternant une vie dans un corps et un séjour hors du monde matériel. Selon Platon, père de l’idéalisme, l’être humain possèderait une âme immortelle, venant du ciel et appelée à y retourner. Ce n’est là qu’une expression philosophique du point de vue religieux.

- Epicure opposa à Platon sa philosophie de la recherche du bonheur de l’être humain. Il s’est insurgé contre les chaînes de la religion et de la superstition. Pour lui, l’âme et l’esprit sont corporels, et l’âme meurt  en même temps que le corps. Il est le véritable père du matérialisme.

Montaigne, les libertins du 17e siècle et Voltaire, furent influencés par le poème « De la Nature », ce manifeste de l’épicurisme matérialiste écrit par Lucrèce, le vulgarisateur  romain d’Epicure.

- Les Stoïciens, de Zénon à Marc-Aurèle, par leur philosophie à la fois doctrine et style de vie, ont exercé en Occident une grande influence sur la morale. Les trois parties de la philosophie stoïcienne, la physique, la morale et la logique, s’articulent autour d’un même principe : le logos. Le logos pénètre les phénomènes de la nature, détermine la rectitude de la conduite et assure la cohérence du discours. Le logos, qui signifie à la fois la raison et la parole, peut être compris comme le verbe de Dieu. Les stoïciens ne répudient donc pas la divinité, même si leur physique est matérialiste.

Pour Marc Aurèle, il existerait une matière première dont toutes les matières particulières ne seraient que les diverses manifestations. De même il existerait une Âme première dont toutes les âmes particulières seraient des manifestations. Et c’est l’âme répandue dans la matière qui l’aurait organisée. Sur la mortalité de l’âme il dit : “ De même qu’ici-bas les corps se dissolvent, de même les âmes se dispersent et s’enflamment, reprises dans la raison génératrice du Tout. »

- Descartes, à partir du constat que je suis la chose qui pense, en déduit que Dieu existe et que l’âme n’est pas dans le corps. L’être humain est selon lui l’union temporaire de deux substances : l’une spirituelle et l’autre matérielle. Après Platon, c’est une autre expression de la conception duale du monde et de l’être humain.

- Spinoza, qui a choisi sa famille spirituelle du côté du stoïcisme, a tout de suite contesté le dualisme de Descartes. Il fut qualifié en son temps de matérialiste athée, et chassé de la synagogue. Pour Spinoza, la substance est unique. Ses deux modes étant la pensée et l’étendue. L’homme et l’Être sont dans l’unité. Dieu est consubstantiel à la nature des choses. Il est cause immanente agissant de l’intérieur.

Contre l’affirmation de Descartes, qui veut que l’âme et le corps soient deux substances distinctes et séparées, Spinoza définit Dieu comme la substance unique. Et il affirme que le spirituel ne se détache pas du corporel, ruinant par là l’Espérance religieuse d’une survie de la personne, dans la substance immatérielle que serait l’esprit.

            Ainsi, suivant l’idée que l’on se fait de la nature humaine ; soit que l’on pense qu’elle est duale et comporte un esprit immortel ; ou bien que l’on soit moniste, considérant que l’esprit est une manifestation de la vie qui s’éteint avec la mort, alors la spiritualité change de signification. 

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Comment faut-il concevoir la spiritualité ? Quelle orientation donner à la vie de l’esprit ? C'est-à-dire à l’activité de la chose qui pense. S’agit-il de préparer la survie de l’âme, en cultivant les vertus susceptibles de la rapprocher de Dieu ? Ou bien seulement, de cultiver au plus haut point toutes les fonctions de l’esprit humain ?

L’activité de la chose qui pense peut être différentiée en fonction de l’objet auquel s’applique la pensée. En gros on peut considérer que lorsque la pensée s’applique à comprendre la Nature, et la nature physique des choses, il s’agit d’une activité intellectuelle qui doit obéir aux règles de la raison et de la science. En général dans ce cas on ne parle pas de spiritualité.

Par contre, quand la pensée cherche à se former une conception de choses qui échappent au raisonnement et à la science, quand elle cherche des réponses aux questions métaphysiques, quand au-delà du : « Comment ce monde fonctionne-t-il ? », elle essaie d’apporter des réponses au : « Pourquoi les choses sont-elles ainsi ? » C’est alors que l’on parle de spiritualité. Et c’est à ces questions que les religions, traditionnellement, donnent des réponses.

Le prêt à penser religieux,  qui est en général tranquillisant, peut, en effet fournir des réponses aux questions angoissantes, suscitées par la réflexion sur les problèmes métaphysiques. Mais certains individus veulent se faire une conviction personnelle. Considérant que la faculté de penser ne se délègue pas, ils cherchent par eux-mêmes une sorte d’intuition. Ce qui n’exclut d’ailleurs pas de trouver une convergence avec une religion. La recherche de cette intuition, répondant aux questions métaphysiques, est véritablement la spiritualité. Elle ne peut aboutir que par l’effet d’une inspiration. Question : d’où peut bien provenir cette inspiration ?

Certains pensent qu’elle provient de l’extérieur, c'est-à-dire pour simplifier : du ciel ; qu’elle est du domaine de la transcendance. D’autres considèreront qu’elle vient de l’intérieur, qu’elle émane de la synthèse des connaissances, justes ou fausses, conscientes ou inconscientes, accumulées au long de la vie dans la nature de l’être ; qu’elle est du domaine de l’immanence.

En résumé : la spiritualité, est l’activité de l’esprit appliquée aux questions métaphysiques. Elle ne peut aboutir qu’à des convictions, religieuses ou personnelles ; elle ne peut pas produire de certitudes valant vérité.

 

On voit bien que les convictions proposées par les religions sont diverses, et que l’assimilation de la conviction à la vérité, conduit à la guerre des religions ; d’où l’idée de réfléchir à ce que doit être la spiritualité dans une société laïque.

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            Pour se faire une idée de ce qui pourrait être une conception laïque de la spiritualité, il est nécessaire de préciser ce que devrait être la laïcité.

La laïcité est un sujet d’actualité ; des voix s’élèvent de divers côtés pour la mettre en cause, et demander la révision des lois qui la régissent en France. L’un des arguments avancés fréquemment est sa qualification d’exception française. Or, par définition, la laïcité est le caractère de ce qui est laïque, c'est-à-dire qui n’appartient pas au clergé. En conséquence : Est laïque ce qui est indépendant de toute confession religieuse. C’est une notion simple, compréhensible par tout le monde. Un État laïque est indépendant de toute religion.

Oui, la laïcité en politique est une invention française, ignorée dans beaucoup de pays et seulement partiellement acclimatée dans d’autres. Le terme ne se traduit pas en anglais, dit-on, mais le mot est moins important que l’idée. L’essentiel est la traduction de l’idée dans les règles de la vie de la société. C’est donc de l’idée qu’il faut parler : de sa gestation historique, des lois qui la régissent en France, et de l’universalité du concept.

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            Le mot laïcité n’est apparu dans la langue française qu’en 1871. Mais il ne s’agit pas d’une génération spontanée, l’idée a germé progressivement et vient de loin.

À la fin du 16e siècle, on peut en voir une première manifestation dans la création en France d’un parti des « politiques » pour tenter de mettre fin au drame des guerres de religion. En 1594 des esprits modérés, un peu indifférents à la religion, s’exprimèrent pour ramener la paix par la conciliation. Protestants ou catholiques mais humanistes, juristes comme Jean Bodin ou soldats comme La Noue, ces politiques se rejoignaient dans une conception lucide des intérêts de la France. Un groupe de bourgeois écrivains a immortalisé, dans une œuvre collective : « La Satire Ménippée », ce réveil du bon sens français, en vue de rassembler le pays autour d’Henri IV. Et Montaigne, de la tour de son château en Périgord, est celui qui a le mieux exprimé la nécessité de préserver sa propre personne et sa pensée, de la contagion de tout fanatisme.

L’Édit de Nantes, en 1598, concrétisait cette ouverture sur la tolérance. Malheureusement le fanatisme religieux reprit le dessus. L’idée selon laquelle pouvoir temporel et pouvoir spirituel n’étaient pas séparables restait dominante en Europe. Les Protestants français voulaient être un État dans l’État, mais Louis XIII voulait un État catholique. Les armées catholiques et royales s’employèrent donc à anéantir les forces protestantes. Après la révocation de 1685, les dragonnades obligèrent les Réformés à se convertir, et les récalcitrants à émigrer. « Un roi, une foi, une loi ! » Le système allait se perpétuer jusqu’à la Révolution.

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            En 1790, le mot laïcité n’existait toujours pas, et si les révolutionnaires, comme les protestants du 16e siècle, voulaient s’attaquer au pouvoir politique de l’Église, fondé sur son emprise spirituelle, ils restaient obnubilés par l’idée de la cohabitation du pouvoir spirituel avec le pouvoir temporel. La Constitution Civile du Clergé, voulait faire des prêtres des fonctionnaires ; elle n’allait certes pas dans le bon sens, elle a fait couler beaucoup de sang. Quant à la tentative de culte révolutionnaire de la Raison, elle n’était pas plus heureuse.

En 1802, le système du Concordat et des cultes reconnus, catholique et protestant d’abord, puis israélite, accordait les libertés de conscience et de culte. Il conservait aussi la laïcisation de l’état-civil, l’obligation du mariage civil et le divorce. Mais il supprimait le calendrier civil républicain. Au total c’était une évolution intéressante, mais ce dispositif équilibré, s’il mettait fin aux violences physiques, laissait persister un conflit idéologique et politique.

Un mouvement clérical se développait. Sans revenir sur la liberté des cultes minoritaires, les cléricaux mettaient l’accent sur le rôle de religion civile dévolu de fait au catholicisme.

L’Église devait pouvoir contrôler l’instruction en vue d’exercer une bonne influence sur les mœurs. La Restauration et le Second Empire favorisèrent cette démarche. L’école était en grande partie sous la tutelle des religieux. Le délit de blasphème était rétabli en 1825. La presse catholique attaquait les prétentions de la raison et de la science, et elle manifestait son opposition aux droits de l’homme tels qu’ils avaient été définis en 1789.

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C’est en 1871, avec le retour à la République, qu’apparut le terme de laïcité.

Le parti clérical voulait restaurer la monarchie, c'est-à-dire Dieu et le Roi. Les républicains pour assurer leur survie électorale, allaient chercher un compromis acceptable par une majorité de Français. La loi du 28 mars 1882 rendait l’enseignement primaire gratuit, obligatoire et laïque ; le catéchisme devant être enseigné à l’extérieur des locaux scolaires. La loi du 30 octobre 1886 laïcisait les enseignants, c'est-à-dire en excluait les religieux. Jules Ferry a joué le premier rôle dans ces changements.

 

Pour le législateur de l’époque, la religion n’est pas le fondement de la morale ; au contraire : c’est la religion qui s’appuie sur la morale, pour en tirer sa légitimité. Une morale laïque peut donc devenir la valeur commune assurant le lien social.

Vingt ans plus tard, le système des cultes reconnus était aboli. C’était la deuxième étape de la construction de la laïcité. En 1904, Émile Combes, président du Conseil, faisait fermer les établissements d’enseignement des congrégations. La loi de séparation des Églises et de l’État, qu’il avait préparée, était adoptée le 6 décembre 1905, par une majorité des deux tiers des Sénateurs. Aristide Briand, le rapporteur, qui avait été conseillé dans son travail par l’archevêque de Rouen, déclarait : « La loi que nous avons faite après cinquante séances […] vous êtes obligés de reconnaître qu’elle est finalement, dans son ensemble, une loi libérale. »

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            Après avoir parlé de sa gestation, voyons ce que recouvre, au présent, le concept de laïcité.

Pour Renan, la laïcité c’est l’État neutre entre les religions, tolérant pour tous les cultes, et forçant l’Église à lui obéir en ce point capital.

Plus récemment, Capitant a donné de la laïcité la définition suivante : « Conception politique impliquant la séparation de la société civile et de la société religieuse, l’État n’exerçant aucun pouvoir religieux et les Églises aucun pouvoir politique. »

Donnedieu de Vabres a explicité dans son ouvrage sur l’État, sa conception de la laïcité de l’enseignement en disant : « L’enseignement public est laïque. La loi du 28 mars 1882 l’avait dit et le Préambule de la Constitution le répète. La laïcité est : la conséquence de la neutralité de l’État qui ne peut mettre son enseignement au service d’une confession religieuse ; et la garantie de l’unité morale d’une nation divisée sur le problème théologique. Elle comporte l’exclusion de tout contrôle ecclésiastique sur l’enseignement public, la laïcité du personnel enseignant, et celle des programmes. »

Il faut noter ici, que la limitation du domaine de la loi à l’enseignement public en réduit notablement la portée, du fait que l’enseignement privé, généralement confessionnel, prend tous les jours une importance accrue. Notons aussi qu’au passage nous avons oublié la loi qui laïcisait les enseignants, c'est-à-dire en excluait les religieux, après avoir supprimé aux congrégations leurs privilèges.

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En conclusion : Voici comment on peut caractériser l’idée de laïcité ?

Il s’agit d’éliminer le religieux de tout ce qui est du ressort des règles politiques de la vie publique ; cela dans une société où les citoyens sont libres de leurs choix métaphysiques, c'est-à-dire de leur spiritualité : leur liberté de conscience étant garantie.

 

Il faut noter que la liberté de conscience ne peut être respectée dans les faits qu’après une éducation de la jeunesse à la tolérance, par un enseignement laïque…

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Enfin : une conception laïque de la spiritualité est-elle possible ? Nous avons dit que la spiritualité est l’activité de l’esprit cherchant des réponses aux questions métaphysiques, qu’elle ne peut pas produire de certitudes et ne peut aboutir qu’à des convictions. Ces convictions sont en général empruntées à une religion, ou bien, mais c’est plus rare, peuvent  être élaborées par une réflexion personnelle. On voit bien que l’assimilation de la conviction métaphysique à la vérité, conduit à la guerre des religions ; d’où l’idée de préconiser, dans une société laïque, la liberté absolue de conscience.

Le premier niveau d’une conception laïque de la spiritualité, consiste donc dans la reconnaissance, et la tolérance, de la liberté absolue de conscience.

Mais ceci ne répond pas à la question de savoir s’il est possible d’avoir une spiritualité sans religion, voire une spiritualité quand on  est matérialiste et athée. C’est là le problème.

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Nous pouvons distinguer divers degrés de spiritualité. Le premier consiste à assimiler et faire siens les enseignements d’une religion et de ses dogmes, c'est-à-dire donner aux questions métaphysiques les réponses qu’enseigne la religion dans laquelle on a été élevé.

Le deuxième consiste à aller au-delà de l’enseignement religieux, en pensant pouvoir établir par soi-même un contact avec la puissance divine, au même titre que les prophètes ou les grands prêtres ; c’est la démarche mystique.

Le troisième consiste à se faire sur la divinité une conviction personnelle et à s’élever à la  spiritualité par une démarche gnostique ou en inventant sa propre religion.

Dans ces trois degrés de spiritualité, la démarche part d’une même présupposition : celle de la transcendance, de la possibilité de communiquer avec un monde de l’esprit où se tiendrait la divinité, un monde transcendant, différent et séparé du monde de la matière.

Cependant, depuis l’antiquité des hommes ont douté de l’existence d’une transcendance. Certains, comme Spinoza, ont pensé que « le principe qui fait être » est immanent, qu’il anime la matière et la nature, de l’intérieur. Pour le matérialiste, l’esprit non seulement serait dans la matière mais il émanerait de la matière. Le matérialiste considère que le supérieur naît de l’inférieur. Sa réflexion philosophique conduit sa pensée, par un mouvement ascendant, à expliquer le supérieur par l’inférieur. Pour lui, la pensée et l’esprit, sont l’expression de l’homme neuronal. Il n’y a pas d’esprit immatériel séparable du corps.

Pour l’athée, l’élément fondamental de la sagesse est l’acceptation du désespoir ; comprendre : la non espérance, l’acceptation d’une destinée éphémère, excluant toute idée de survie et de surnaturel. Pour l’athée matérialiste, il faut alors accepter de n’être plus rien  après la mort. Et cela pour l’éternité. Pour lui, rien n’est à attendre, tout est à vivre. À l’exemple des stoïciens il ne désire pas autre chose, que ce qu’il peut par lui-même. Dans ces conditions, et donc sans Dieu, est-il possible d’avoir une spiritualité ?

L’esprit de l’athée peut s’exprimer par la réflexion philosophique. Il met en évidence le primat du raisonné sur le spontané. Considérant que la fonction de penser ne se délègue pas, il n’admet aucun dogme. Il découvre que la morale n’a pas besoin de la religion, car il prend l’humanisme comme le fondement de sa morale ; l’homme étant là le principe et la valeur. Se refusant à imaginer du surnaturel, sa réflexion philosophique laisse sans réponses les questions métaphysiques qui ne trouvent pas de solution dans l’étude de la Nature. Il considère que philosopher est le travail de l’esprit par excellence, mais qu’il ne s’agit pas de faire de la philosophie comme on joue aux échecs, pour le plaisir que l’exercice donne à l’esprit. Pour le matérialiste athée, l’essentiel n’est pas la philosophie mais la sagesse.

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Le sage, qui n’est pas nécessairement un athée, fait de la philosophie pour savoir comment conduire sa vie, et d’abord pour libérer son jugement de ses passions, pour comprendre que l’on ne doit pas vouloir ce qui ne dépend pas de soi-même et que l’ordre du monde s’impose, contre mes désirs et mes illusions.

Même dans le doute sur la nature de l’esprit, il est sage de considérer que si la mort est bien le terme de la vie, elle n’en est pas le but, et que le but de la vie, c’est de vivre, et de vivre dans le bien.

 

La sagesse conçue comme la science de la vie, est alors une sagesse laïque ; et pour élaborer une morale laïque, le sage n’a besoin ni de la religion ni de l’athéisme.

S’agit-il de spiritualité ?

Le sage prend d’abord connaissance de ce que la science lui enseigne sur la nature de l’homme, le fonctionnement de son cerveau et les ressorts biologiques de son esprit. Il lui reste à se demander comment il est possible, par une réflexion philosophique bien comprise, de cultiver l’esprit pour l’élever au niveau des questions métaphysiques et des fondements de la morale.

Notre esprit nous présente une perception du monde et de nous même ; toutefois, cette perception ne se réduit pas aux données immédiates des sens, elle implique la conscience par la compréhension et le jugement. La vertu qui consiste à construire sa vie au lieu de la subir, relève elle-même du jugement de la conscience.

Tout rapporter au jugement de sa propre conscience, pour réaliser sa vocation d’être humain, c’est peut-être cela la spiritualité pour un esprit laïque ?

La religion motive le bien dans la vie par l’espérance, ou par la peur, de ce qui pourrait advenir après la mort. Elle oriente la vie de l’esprit, la spiritualité, vers une réflexion sur Dieu, et ses commandements inscrits par les religieux dans un dogme. Le sage, qui considère que la faculté de penser ne se délègue pas, se contente de penser « par lui-même », en conscience, sa destinée humaine, à partir de ses connaissances et de son intuition.

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Finalement, Si nous acceptons de définir la spiritualité comme l’activité de l’esprit appliquée aux questions métaphysiques, et si nous admettons qu’elle ne peut pas produire de certitudes, alors nous devons accepter comme une démarche de spiritualité toute recherche métaphysique, toute réflexion dans ce domaine échappant à la certitude scientifique, même étrangère à quelque religion que ce soit, même athée et laissant sans réponse les questions les plus angoissantes. La laïcité, consistant à éliminer le religieux de la vie politique tout en garantissant la liberté de conscience, conduit logiquement à une conception laïque de la spiritualité. C'est-à-dire à laisser au citoyen le choix de sa propre spiritualité, religieuse ou non, et même, le droit de ne pas en avoir.

En outre, on peut qualifier de « spiritualité » toute forme de réflexion sur les questions métaphysiques, même indépendante de tout dogme religieux ; que ce soit une réflexion à caractère gnostique, agnostique, ou même athée ; ou bien simplement :

« Une pensée qui étudie les problèmes posés par les questions métaphysiques en tenant compte de toutes les données établies par la science, pour se faire par intuition une conception hypothétique personnelle de la spiritualité, sans chercher à l’ériger en vérité universelle. »

La qualification de spiritualité, est déterminée par la nature des questions qui occupent la pensée, et non par les réponses qui leur sont données. Le caractère laïc des réponses, est ici traduit par le « jugement » d’une conscience libre, qui peut aboutir à une conviction religieuse, mais qui peut aussi être « indépendante de toute religion ».

Il s’agit alors de cultiver la sagesse et d’élaborer une morale laïque, à partir d’une science de la vie fondée sur l’humanisme.

Il reste à savoir dans quelle mesure une telle attitude de tolérance dépend de l’éducation reçue au cours de l’enfance et de la jeunesse ?

Claude J. DELBOS

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