L'humanisme de la Renaissance

Renaissance, humanisme et Réforme.

           

Certains ont pu avancer que ce que cherchait la Renaissance, c'était l'antiquité classique en son art, alors que ce que cherchait l'humanisme c'était l'antiquité classique en ses idées.[1] La réalité paraît avoir été différente et on peut dire que Renaissance et humanisme se confondent ; et cela dès l'origine dans la personne même, du premier des humanistes italiens : Pétrarque. Érudit, curieux des mœurs et de la nature, archéologue et philologue, passionné d'auteurs comme Cicéron et Virgile, promoteur de l'étude du grec, Pétrarque voulait créer ce monde moderne où, avec la foi chrétienne, la morale et la philosophie de l'antiquité se confondraient réconciliées.

Ce qui est intéressant, c'est de constater la chronologie d'une évolution, d'abord parallèle puis divergente, de l'humanisme et de la Réforme. Au moment où Calvin publia son « Institution Chrétienne », le mouvement français de la Réforme était déjà vieux d'un quart de siècle, car son origine se confondait presque avec celle de l'humanisme de la Renaissance française. L'humaniste ne se contentait pas de s'inspirer de la forme des œuvres des maîtres de l'antiquité, il affirmait sa conviction que l'étude des lettres antiques rendrait l'humanité plus civilisée. L'idée centrale de l'humaniste c'était que l'homme était pour l'homme le plus digne des sujets d'étude. Les humanistes français, comme Étienne Dolet, exprimaient clairement leur ambition pour une réussite dans cette vie. « ... Pendant que je puis, je goutte un bonheur mortel ; après la mort j'en connaîtrai peut-être un plus grand[2] ? »  

On saluait alors le culte nouveau des sciences et des langues. En même temps, l'humanité retrouvait l'Évangile, comme elle avait retrouvé l'Iliade. Marguerite d'Angoulême publiait « Le Miroir de l'âme pécheresse » en 1531, c'était l'époque où la Renaissance rapprochait tous les hommes nouveaux. Malheureusement, après 1534, les persécutions les diviseraient. Après 1550, Calvin et le Concile de Trente rivaliseraient, pour consacrer la rupture entre humanisme et Réforme.

 

La Renaissance en substituant le libre examen au respect de l'autorité, avait ouvert la voie à l'évangélisme. Par là se profilait l'idée d'aller à la recherche de la vérité à l'aide des seules lumières de la raison individuelle. En outre, en proposant à l'étude les mêmes textes grecs, latins, hébreux... l'humanisme créait l'idée de l'universalité de la culture, du moins entre Européens. Enfin la Réforme, en poussant à l'éducation des enfants pour leur permettre de lire l'Écriture, favorisait leur accès à la culture humaniste par la lecture d'ouvrages profanes.

 

Mais la doctrine calviniste en prescrivant de ne croire qu'à l'Évangile et de n'attendre de salut que de la grâce divine, annonçait la fermeture des esprits et le divorce entre humanisme et Réforme. Pour un humaniste, la libre critique était en droit de s'appliquer à tout ce qui était à la portée de l'intelligence et de la volonté humaines, sans limitation par aucune autorité extérieure ou supérieure. Les Réformés par contre, excluaient du libre examen la Bible, qu'il était interdit de mettre en question. Alors que pour les humanistes, la Bible n'était qu'un livre.

Parmi les humanistes, beaucoup ne se contentaient pas de revenir au christianisme primitif, ils remontaient aux philosophes de l'antiquité, reprenant des philosophies qui ne niaient pas le moi, mais au contraire glorifiaient son libre et complet épanouissement, considérant la vertu comme un mérite de l'individu et non comme une grâce reçue de Dieu.

Enfin et surtout les humanistes croyaient à l'unité de la nature et à la conformité de l'homme avec la nature ; ils voulaient penser l'homme en tant qu'élément de la nature. Les humanistes se partageaient entre l'épicurisme satisfait de Montaigne et le stoïcisme joyeux de Rabelais.

Ainsi l'humanisme de la Renaissance non seulement s'éloignait de la religion, mais en ruinant le dogme du péché originel il tendait à devenir contraire au christianisme.

 

Les Grandes idées des Humanistes de la Renaissance

 

            Par réaction contre le dénigrement de l'humain dans la culture judéo-chrétienne, conséquence de la culpabilisation liée au mythe du péché originel, la Renaissance a osé relever la dignité de l'homme, le réhabiliter et le mettre en valeur, en s'inspirant de l'antiquité gréco-latine.

 

Quelques idées philosophiques fortes se dégagent des écrits des humanistes de la Renaissance.

La première idée à retenir est celle de l'approfondissement de la connaissance de la nature de l'humain, de son corps comme de son esprit, qui était pour les Humanistes le point de départ de toute philosophie. Pétrarque se demandait à quoi servirait de connaître la nature et toutes ces choses, qui ne serviraient à rien au bonheur de la vie si l'on ignorait la nature de l'homme. La connaissance de soi devait, selon Marsile Ficin, permettre à l'âme de donner signification à la matière. Pic de la Mirandole reprenait à son compte ce jugement d'un Arabe affirmant qu'il n'y a rien de plus admirable que l'homme, et celui du Trismégiste admirant cette grande merveille qu'est l'être humain.

 

Dans cet esprit ils allaient à la recherche d'un fonds universel, commun à tous les humains, qui serait plus ancien et plus profond que toutes les religions ou philosophies, et qui permettrait de relier les hommes au-delà de leurs différences ; quelque chose comme une tradition immémoriale, enfouie au plus profond de la conscience humaine. Pétrarque voulait réconcilier la philosophie de l'antiquité avec la foi chrétienne. Marsile Ficin affirmait que les platoniciens auraient pu être chrétiens. Pic de la Mirandole allait plus loin ; il cherchait, au-delà de toutes les doctrines théologiques, à dégager leur unité au sein même de leur altérité, pour en dépasser les contradictions dans la recherche d'une concorde universelle.

 

De la prise de conscience de ce fonds commun à toute l'humanité, devait découler aussi une pacification des sociétés humaines, par la tolérance pour des idées religieuses diverses et l'établissement d'une justice plus équitable. La recherche d'une société plus pacifique et plus juste, apparaît comme un objectif proposé par les humanistes en général, mais en particulier par Erasme, Thomas More, et les humanistes français.

 

La deuxième grande idée est celle de la marge de liberté laissée à l'homme pour agir par lui-même sur sa destinée ; et cela en réaction contre la conception purement passive d'une vie humaine entièrement déterminée par la grâce ou par les astres. Pour Pic de la Mirandole, l'homme a reçu le privilège d'être seulement ce qu'il devient et de devenir ce qu'il se fait. À cela Erasme ajoutait : on ne naît pas homme, on le devient.

 

Une autre idée, d'ailleurs liée à la liberté de l'homme qui lui donnait la possibilité d'agir sur son destin, était l'affirmation de la légitimité de la recherche du bonheur dans cette vie ; cela en opposition à la conception de la vie sur terre comme une punition, dont il fallait subir les épreuves pour espérer la félicité dans l'autre vie. C'est ce qui apparaît à la lecture de l'Eloge de la Folie d'Erasme, ainsi que dans les œuvres de Rabelais et dans les Essais de Montaigne.

 

L'idée de reconnaître à la raison de l'homme son domaine, celui des réalités de ce monde, transparaît dans pratiquement tous les écrits humanistes, avec pour résultat de mettre en doute certaines explications religieuses traditionnelles érigées en dogme, et également l'enseignement d'Aristote tel qu'il était présenté par la scholastique. Pétrarque, considérant que la raison est innée et fait partie intégrante de la nature humaine, estimait préférer, en ne suivant pas les enseignements traditionnels, être déclaré illettré plutôt que stupide. Pour Pic de la Mirandole, ce qui différencie l'homme de la bête, c'est sa capacité de maîtriser ses passions par sa raison.

 

Enfin, le grand changement proposé par les humanistes portait sur l'éducation. Il s'agissait, comme le voulait Erasme, et comme l'expliquait d'une autre façon Rabelais, de s'orienter vers une éducation « libérale » de la jeunesse, s'attachant à développer les qualités du corps comme celles de l'esprit, un enseignement fondée sur une relation de confiance entre le maître et l'élève. Il s'agissait aussi d'étendre l'éducation à tous, car, disait Erasme : « le monde de l'homme c'est celui de la culture et non celui de la nature ». En premier lieu, il s'agissait de permettre à chacun de juger par lui-même des enseignements du Livre Sacré ; ce qui ouvrait la voie à la Réforme. Le principal souci des grands humanistes français qu'ont été Guillaume Budé et Lefèvre d'Etaples, a été de mener à bien leur action pour répandre la culture humaniste par l'étude des lettres grecques et latines, ainsi que par la lecture directe de la Bible et des Évangiles traduits en français.

 

Nous avons vu que l'humanisme de la Renaissance, en réactivant le lien avec la culture de l'antiquité, a finalement pris une dimension philosophique consistant à prendre pour fin la personne humaine et son épanouissement, en s'attachant à la mise en valeur de l'homme par les seules forces humaines.  

Les humanistes voulaient réhabiliter l'homme et lui rendre sa dignité en opposition à son avilissement par le péché originel. Ils voulaient tenir compte de la marge de liberté laissée à l'homme et l'utiliser pour rechercher le plein épanouissement de la personnalité, développer la connaissance de la nature par la raison, et rechercher les fondements de la morale au-delà des dogmes religieux dans le fonds universel de l'humanité, pour accorder théologie et philosophie.

Et surtout, l'humanisme de la Renaissance, en partant de cette idée que l'on ne naît pas homme mais qu'on le devient, avait une ambition pédagogique. Il préconisait de former la jeunesse d'une façon libérale, par l'étude directe des textes des Anciens, mais aussi en recherchant le développement de toutes les aptitudes personnelles. Les humanistes de la Renaissance en sont cependant restés, pour la culture scientifique, à l'étude des textes de l'Antiquité ; ils n'ont généralement pas accordé, aux découvertes scientifiques de leur époque, l'attention qu'elles auraient mérité.

Dans le domaine de la religion, par le retour à l'étude des textes, l'humanisme a ouvert les esprits à l'évangélisme et partant, à la Réforme. Mais par ailleurs, en assimilant des philosophes comme Socrate à des précurseurs du christianisme, et par les recherches d'un Pic de la Mirandole pour trouver une origine commune à toutes les religions, l'humanisme de la Renaissance a ouvert la porte au dépassement des particularismes religieux pour aller vers un universalisme tolérant.

Enfin, dans le domaine politique, les humanistes de la Renaissance, en échafaudant des idées pour rendre l'humanité heureuse et pacifique, ont promu la notion de roi philosophe, mais aussi ouvert la voie à l'utopie communiste.

 

 

 

            En conclusion, le mot humanisme, tel qu'il peut être compris à partir des œuvres des humanistes de la Renaissance, est la recherche et la définition d'un modèle de perfection humaine, d'ordre éthique chez les moralistes, les pédagogues et les philosophes, d'ordre esthétique chez les artistes, d'ordre social chez les juristes et les politiques ; perfection humaine dont les humanistes font l'objet de leurs études et de leurs actions.

L'humanisme philosophique, appelé à servir de fondement à l'éthique et au comportement moral, consiste à faire de l'homme le principe premier, sinon unique, donnant sens et valeur à toute chose. En ce sens, c'est à bon droit que l'existentialisme de Sartre s'en est réclamé. Et on peut admettre qu'en toute rigueur un humanisme philosophique ne peut être qu'athée. Néanmoins les religions revendiquent aussi l'humanisme ; on parle d'humanisme chrétien notamment.

Contre ceux qui prétendent le concept d'humanisme périmé et veulent le cantonner au courant de pensée issu de la Renaissance, on peut objecter que nombre de penseurs contemporains, Axel Kahn par exemple, sont qualifiés d'humanistes ou se qualifient eux-mêmes d'humanistes.

Le concept d'humanisme n'est pas périmé, il reste le fondement indispensablede toute conception d'un avenir pacifique et de progrès pour l'humanité.

 

Claude J. DELBOS .

 

 


[1] M ; Faguet, cité par Henri Hauser dans « De l'humanisme et de la Réforme en France » 1999.

[2] Etienne Dolet cité par Henri Hauser dans « De l'humanisme et de la Réforme en France »

 

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